Sandrine Rousseau, la fachosphère et nos médias irresponsables
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Sandrine Rousseau, la fachosphère et nos médias irresponsables

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C’est une polémique née, comme tant d'autres, d'un extrait tronqué et décontextualisé. Mardi 15 juillet, la séquence d'une interview de Sandrine Rousseau au Média datant du 11 juillet, a commencé à circuler sur X. "Y'a des agriculteurs qui ont un autre argument, cette loi c'est une nécessité pour eux, pour leur rentabilité, qu'est-ce que vous leur répondez ?" la questionne la journaliste du média indépendant, à propos de la désormais fameuse loi Duplomb, qui a recueilli plus d'un million de signatures contre elle en ligne. "J'en ai rien à péter de leur rentabilité et je pense que ce n'est pas le sujet. La rentabilité de l'agriculteur par des produits chimiques au détriment des sols, de la biodiversité, de notre santé c'est pas de la rentabilité c'est de l'argent sale" répond la députée de la 9e circonscription de Paris.

22 petites secondes sciemment découpées et partagées initialement par le média d'extrême droite "Boulevard Voltaire". 

Emballement et acharnement contre Sandrine Rousseau

Relayée par des comptes de droite et d'extrême droite comme "Fdesouche", la vidéo croît en visibilité grâce, notamment, aux indignations de journalistes comme Géraldine Woessner (qui fait mine d'ignorer que Rousseau ne parle pas de la "rentabilité" des agriculteurs en général), ou Jean-Sebastien Ferjou d'Atlantico, tout en nuance, comme d'habitude ("les écologistes tuent").

Les adversaires politiques de Sandrine Rousseau foncent dans le tas et alimentent également cette fausse polémique. Rassemblement National en tête, par la voix de son porte-parole, Julien Odoul ("les écologistes détestent nos campagnes, nos fermes et nos éleveurs !") ; Les Républicains, via leur vice-présidente Florence Portelli ("Madame Rousseau tient des propos inhumains et abjects"), et jusqu'à la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard ("les propos de Sandrine Rousseau sont indignes d'une élue de la République").

Sur les chaînes et émissions d'opinion, les toutologues déversent sans filtre leur haine teintée de populisme. Sur Europe 1, Sandrine Rousseau, qui "s'en prend aux agriculteurs de façon complètement éhontée" a "perdu toute humanité". Sur CNews, l'on pointe le "langage de racaille" d'une "femme dangereuse" qui incarne "le degré zéro de la pensée". Un invité se demande même "s'il n'y aurait pas une procédure pour la destituer de son mandat". Sur RMC, dans les Grandes Gueules, il lui est souhaité de connaître "la faim, qu'elle comprenne à quoi ça servent des agriculteurs (sic)". Sur l'antenne de Sud Radio, enfin, elle est qualifiée de "petite bobo gauchiste complètement déconnectée", ainsi que de "parasite".

Peu de doutes quant au fait qu'aucun de ces commentateurs n'a pris la peine d'aller regarder la séquence plus en longueur. Lui sont ainsi reprochés son "sourire" et "dédain" (CNews) ou son "petit rire narquois de déconnectée absolue" (Sud Radio) à l'égard des agriculteurs français. Alors que le rire en question qui ouvre l'extrait de 22 secondes n'a rien à voir avec son propos. Il venait conclure, comme une sorte de rire nerveux, une phrase où elle se dit très en colère contre le gouvernement et ses reculs sur les questions écologiques. "Quand elle entend «rentabilité» elle entend «méchant capitaliste». Pour elle, la rentabilité c'est le multimillionnaire qui veut tuer la planète", commente-t-on sur Europe 1, en caricaturant complètement le propos de la députée du groupe Ecologiste et Social. Une chroniqueuse de Sud Radio affirme "pour elle, les revenus de nos agriculteurs seraient même de l'argent sale" , alors que ce n'est pas du tout ce que dit Rousseau.

Un extrait décontextualisé

Des interprétations (volontairement ?) fallacieuses alors que l'interview complète est visible et disponible sur le site du Média, et que la députée EELV a elle-même partagé sur Bluesky un extrait plus long accompagnée du commentaire suivant : "Je vous sais plus intelligent·es".

L’extrait polémique s'inscrit, en effet, dans un échange dans lequel elle tonne contre les reculs du gouvernement qui nous font "tomber dans le chaos". Ulcérée par le vote de la loi Duplomb, elle décrit l'acétamipride comme le "chlordécone d'aujourd’hui" avant de pointer une "explosion des cancers chez les enfants, des cancers du pancréas et des cancers digestifs" qui sont "très probablement liés à ce type de produits". Elle déplore ensuite que "pour satisfaire Arnaud Rousseau [patron de la FNSEA] de l'agrobusiness, un type qui a une entreprise qui fait des millions de chiffres d'affaires, on met en danger la santé des personnes". "Quand un enfant a un cancer, sa vie complète est perturbée, modifiée, abîmée, le cancer c'est pas rien, une fois qu'on en a eu un, on s'en souvient tout le temps. On est tout le temps avec cette épée de Damoclès sur la tête, s'émeut la députée, on est en train de faire ça pour donner de l'argent à Arnaud Rousseau !". C'est là qu'elle s'emporte : a me révolte mais à un point, vraiment je suis très très en colère, et cette colère, il va falloir qu'elle sorte à un moment"S'en suit alors le rire évoqué plus haut et ce fameux "j'en ai rien à péter" qui ne concerne donc pas directement "la rentabilité des agriculteurs" dans l'absolu, mais qui répond à cette excuse brandie, notamment pour autoriser l'acétamipride.

Dans une "mise au point nécessaire" partagée sous forme de communiqué sur BlueSky Rousseau déplore que "plusieurs éditorialistes, principalement de médias d'extrême droite, ont délibérément confondu rentabilité et revenu, dans le but de faire croire que je ne me soucie pas du revenu des agriculteurs". Elle y clarifie encore son propos initial et certifie qu'elle n'y dénonçait pas "la question du revenu des agriculteurs" dont elle dit défendre "pleinement la garantie", mais "un modèle agro-industriel à bout de souffle, qui impose une rentabilité maximale à la production agricole au détriment des agriculteurs eux-mêmes". La députée EELV rappelle enfin que "ce n'est pas être « contre les agriculteurs » que de refuser un système qui les broie. C'est, au contraire, leur rendre justice, en défendant un autre avenir pour eux".

Mais ses multiples mises au point n'ont pas éteint la polémique malhonnête. Largement boostées par le traitement de CNews et consorts, les publications de la FNSEA, du communiqué commun de trois grands salons agricoles ou celles de politiques, ont suscité l'indignation de nombreux agriculteurs (qui ne portaient déjà pas Rousseau et les écolos dans leurs coeurs) sur les réseaux sociaux.

Des médias en ligne irresponsables

Que "Boulevard Voltaire" ait initié la polémique, et que CNews, Europe 1, Les Grandes Gueules ou encore Sud Radio leur aient emboîté le pas en instrumentalisant sans scrupule une vidéo sortie de son contexte, cela n'a rien de surprenant. ASI rend compte ici quotidiennement de ces méthodes. 

En revanche, que des médias généralistes en ligne (comme Actu.fr, Le HuffPost, 20 Minutes ou BFM) aient surfé sur cette charge initiée par l'extrême droite, c'est indigne, irresponsable et cela participe à l'hystérisation du débat public. Le ton des articles pose également question."Avec ses sorties extravagantes et les énormités dont elle a le secret" se permet Terra / Actu.fr. en intro de son article De son côté, 20 Minutes pond un visuel plus que racoleur pour ses réseaux sociaux, et affirme dans son article que la députée est "en roue libre". 

Certes, contrairement à BFM qui a publié un article alors que l'emballement était circonscrit à l'extrême droite - comme ils l'écrivent -, 20 Minutes et Actu.fr ont attendu que la polémique s'empare du monde agricole. Mais aucun des deux n'a pris la peine de rappeler le contexte de la séquence de 22 secondes. Aucun n'explicite donc le coeur du propos de Rousseau en le contextualisant, pourtant le b.a-ba de notre métier. Pas plus qu'ils ne rapportent les éléments d'explications du communiqué de la députée. 

Ce vendredi, alors que des agriculteurs de la coordination rurale ont déversé devant la permanence EELV de Blois du foin et les déchets de céréales, "Boulevard Voltaire" a "live-tweeté" l'opération en direct sur son compte X, évoquant la"colère" des agriculteurs faisant suite à des propos que le média a lui-même dénaturé. Une opération d'agitprop rondement menée !

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