Mistral d'antan
Le matinaute
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chronique

Mistral d'antan

Il n'est pas de grand chanteur français sans souffrance, sans légende de souffrance

, et Renaud, c'est une souffrance qu'on a vu se constituer, se cristalliser en légende, je parle de ma génération. Au début, on n'y croit pas, on pense que c'est plus ou moins bidon, une souffrance pour papier glacé, des larmes qu'on prend en photo. Et puis un jour, au hasard d'une visite inattendue à la Closerie des Lilas, on tombe sur la statue de souffrance, attablé seul, immobile, le regard fixe, éternel, comme grévinisé déjà, et les garçons confirment doucement, oui oui c'est sa table, il est là tous les jours, toute la journée. C'était donc vrai ce que disait la rumeur des pages pipole, cette souffrance offerte en attraction au public choisi de la Closerie et, par extension, aux foules sentimentales. C'est bien une légende de souffrance qui s'écrit ici, comme les plus grandes, celles qu'on n'a connues qu'a posteriori, déjà constituées en souffrances de légende, Brel et ses Marquises, Cloclo et ses névroses, France Gall et ses grands deuils, Gainsbourg et ses volutes, toutes ces souffrances formatées pour faire de belles émissions d'hommage sur France 3.

C'est une jolie idée de réalisation, ce banc où viennent s'asseoir l'un après l'autre, pour la jolie émission d'anniversaire, les copains (Bruel, Delerm, Grand Corps Malade) et les fans, les jeunes pousses de la génération Star Ac (Olivia Ruiz, Nolwenn Leroy), ce banc où ils et elles lui disent bêtement qu'ils l'aiment, toujours dans ce même court-circuit entre compassion privée, secrète, et sauvetage humanitaire de Mister Renard pour prime time du service public. Ce banc public, le même bien sûr où il s'est assis un jour en tenant une petite main dans la sienne, et en lui racontant les fabuleux bonbecs des époques révolues, Coco Boer, Mistral Gagnant.

Mistral Gagnant. Bruel raconte la première fois qu'il a entendu la foudroyante rengaine, retour de concert, sur la route de Dunkerque à Paris, et comment il se l'est passée en boucle, trois heures de route, bloqué sur la chanson, ne nous parlez pas quand on bloque, ne nous dites rien, ne dérangez pas, on est bloqués sur notre enfance et ses trésors. Mistral gagnant, cette chanson absurde, méchamment générationnelle, non-anciens des années 60 s'abstenir, nos battements de coeur en soulevant la languette, et ensuite, ce délicieux flash de fraicheur chimique citronnée. Qui d'autre peut comprendre ?

Mistral gagnant. Et puis, un jour, des petites mains effleurent un piano dans le salon, et ce sont ces notes-là qui montent, toujours les mêmes, la rengaine infernale, mais dis-moi, tu sais au moins ce que tu joues ? et on essaie de raconter, de transmettre l'instransmissible, comme lui sur son banc, le flash évidemment, et tout ce qu'il y avait autour, les encriers, l'odeur d'amande des pots de colle, les Trente Glorieuses à la marelle, au ras des flaques.

Il n'est pas forcément nécessaire de comprendre les paroles d'une chanson, les plus belles sont peut-être celles qu'on chante sans les comprendre, avec conviction, combien ont chanté la fille du huitième, le HLM, sans forcément comprendre ? Mais on est heureux, tout de même, que soit passé une sorte de message essentiel, cette âme secrète d'une génération, génération si habilement captée aujourd'hui dans ses extases inavouables par la revue Schnock. Et dire qu'on se guerroie, aujourd'hui, entre vieux gosses qui ont tout de même partagé ce royaume-là, mais où sont les mistrals d'antan, où sont les voix qui nous rappelleraient aujourd'hui qu'il faut aimer la vie, même si...

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