La journée d'hier a été particulière. C'est d'abord Vincent Bolloré, qui accuse France 2 de manipulation de témoignages, dans un numéro de Complément d'enquête sur ses activités en Afrique. Si c'est le cas, on peut se demander pourquoi il n'a pas fait mener cette contre-offensive dans les medias dont il dispose, mais peu importe. Faut-il en rendre compte ? Faut-il mener la contre-enquête sur l'enquête de France 2 ? Oui. Même Bolloré peut être victime d'une manipulation médiatique. Si un seul témoignage a été manipulé par France 2 (ce qui n'est évidemment pas attesté à cette heure matinale), cela ne retire rien au lourd dossier Bolloré, qu'il faudra bien, hélas continuer à nourrir, mais cela devra tout de même être dit.

C'est ensuite l'avocat de Denis Baupin, Emmanuel Pierrat, qui produit des SMS envoyés à Baupin par certaines des femmes qui ont porté plainte pour harcèlement sexuel contre lui. Tous ces SMS ne sont pas convaincants, certains desservent même lourdement son client, mais dans un cas, ces nouveaux SMS peuvent laisser penser que le "jeu de séduction" a été, au moins un temps, mutuel. Mediapart et France Inter, auteurs de l'enquête, ne les avaient pas mentionnés. Faut-il verser cet élément au récit médiatique de l'affaire ? Bien sûr que oui. Ce qui ne retire rien, par ailleurs, au lourd dossier du harcèlement sexuel par les puissants, qu'il faudra bien, hélas...(bis)

La petite nuée des "golden corbeaux" sur Twitter accuse Denis Robert de s'être planté, dans l'"outing" de l'un d'entre eux. Rappelons que Robert a livré les noms, en deux épisodes (récits ici et là), de certains twittos, anonymes, s'étant fait une spécialité de pourfendre les cyber-militants anti-Loi travail. Si Denis Robert s'est trompé sur un cas, faut-il le dire ? Oui. Cela ne retire rien (ter) au problème de fond que pose son enquête -les lynchages anonymes sur Twitter- mais si une erreur sur la personne est avérée (ce qui n'est pas attesté à cette heure matinale, comme le reconnaissent les anti-Robert eux-mêmes) il faudra bien que cela soit dit. Dans le cas inverse aussi, d'ailleurs.

C'est peut-être le plus dur du métier. Le temps de l'enquête, parvenir à oublier qui sont les "bons", qui sont les "méchants" habituels, qui est le pot de terre, qui est le pot de fer. Oublier que Bolloré est Bolloré, que Baupin est Baupin. Rechercher, considérer et rapporter les faits, tous les faits, et avant tout ceux qui nous dérangent dans nos classements et nos certitudes. Se souvenir de la distinction entre nos articles "bleus" (enquêtes, observatoires), et nos articles "roses" (chroniques, opinions, comme celle-ci) D'abord parce que nous vous présumons capables de soupeser, de trier l'essentiel et l'accessoire, et au final de vous forger votre opinion par vous mêmes. Ensuite, parce qu'à la fin, le pot de fer finira toujours par trouver le chemin des puissantes tribunes, sur lesquelles il pourra faire connaître sa défense, en s'affublant, en prime, de l'habit rayé de victime de lynchage médiatique. Autant le priver d'emblée de cet habit-là.