Contre-enquête à "Molenbeek-sur-Seine"
Brève

Contre-enquête à "Molenbeek-sur-Seine"

Sur les traces du Figaro. Fin mai, Le Figaro Magazine publiait un dossier sur Saint-Denis (93), intitulé "Molenbeek-sur-Seine" et décrivant une ville où "les salafistes imposent peu à peu leur loi". La journaliste indépendante Widad Ketfi et la militante antiraciste Sihame Assbague sont allées retrouver les témoins interrogés par l'hebdo. Elles viennent de publier leur "contre-enquête" sur le site de l'association Acrimed.

Avant même la publication de l'enquête, la Une du Figaro Magazine avait fait réagir : la ville de Saint-Denis (93), comparée au quartier bruxellois de Molenbeek, où ont vécu certains des auteurs des attentats de novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, et de mars 2016 à Bruxelles. "Simpliste", avait rétorqué le maire (PCF) de la ville Didier Paillard, évoquant la possibilité d'une plainte– avant d'estimer que la journaliste du Figaro avait "fait son travail"... et avant de revoir à nouveau son jugement en portant finalement bien plainte contre le journal.

Couverture du Figaro Magazine du 20 mai 2016

Dans le dossier en question, la journaliste Nadjet Cherigui décrivait une ville qui "attire les plus radicaux du salafisme" et dont certains quartiers sont "devenus des zones de non-droit, où communautarisme et islamisme creusent leurs sillons". Elle s'appuyait sur des témoignages de Dyonisiens d'horizons variés : "cadre" et fidèles de la mosquée Tawhid, prêtre catholique, étudiantes, élus.

Soupçonnant des "simplifications outrancières" et critiques quant à l'angle choisi par l'hebdomadaire, la journaliste indépendante Widad Ketfi et la militante antiraciste Sihame Assbague (qui avaient déjà "contre-enquêté" sur un dossier de Libération sur l'antiracisme) sont retournées sur place. Une contre-enquête racontée en direct sur les réseaux sociaux, où Assbague et Ketfi ont annoncé leur projet, lancé des appels à témoins, et ont diffusé une partie des entretiens qu'elles menaient via l'application de diffusion de vidéos en direct Periscope.

Après "deux semaines de rencontres, de présence sur place et d'entretiens, notamment avec les personnes citées", elles viennent de publier un compte-rendu détaillé sur le site Acrimed. Leur verdict est tranchant : "Ce que Le Figaro a présenté comme une enquête de trois mois, puis d’un mois et demi, n’est en fait qu’une succession de biais réducteurs et de témoignages peu fiables". Elles y relèvent que l'entame de l'article du Figaro prête à confusion, que plusieurs interrogés ne se reconnaissent pas dans les propos qu'on leur prête, qu'une affirmation erronée a été reprise sans être corrigée, et qu'un homme qui a parlé au Figaro en tant que "cadre" de la mosquée est inconnu des responsables de cette dernière.

Des tensions liées à la présence de la journaliste

Premier problème posé par l'article de Cherigui repéré par le duo : son attaque. La journaliste y décrit une scène de "tension" et d'"insultes" à l'abord de la mosquée de Saint-Denis. Tension liée, croit-on comprendre, à la présence d'intégristes :

Extrait du Figaro Magazine du 20 mai 2016

Pourtant, aux dires des deux contre-enquêtrices, c'est... la présence de la journaliste qui a échauffé les esprits ce jour là : " Las du traitement médiatique réservé aux musulmans en général et gêné par l’insistance de la journaliste, un fidèle a voulu signaler sa désapprobation. Au moins quatre témoins directs nous le confirmeront".

Des Témoins qui ne se reconnaissent pas dans l'article

Elles citent ensuite trois cas de personnes interrogées par le Figaro qui ne se reconnaissent pas dans les propos qui leur sont prêtés. Le maire de la ville, qui sous la plume du Figaro se dit démuni face aux radicalisations ("En tant que maire, je n’ai aucun moyen d’intervenir. C’est un vrai problème. Sur mon territoire, je ne sais combien de personnes, ni même si des agents de la Ville, sont concernées par les fiches S") assure ne jamais avoir rien dit de tel concernant les agents municipaux : "Nous sommes d’autant plus étonnés par cette citation que ce n’est même pas un sujet évoqué en interne. Nous n’avons, à aucun moment, eu une quelconque suspicion sur des agents municipaux, nous n’avons jamais reçu aucune remontée, aucun échange sur cette question-là".

D'autres personnes citées dans l'article du Figaro ne se reconnaissent pas dans leurs citations, notamment Loïc, jeune musulman qui dans Le Figaro explique avoir été approché par des recruteurs pour la Syrie, et indique désormais ne "jamais" avoir dit cela.

Dernier exemple de problème relevé par la contre-enquête : une affirmation erronée, reprise sans être corrigée. Elle vient d'un prêtre de Saint-Denis, Jean Courtaudière. Dans l'hebdomadaire, il explique : "Aujourd'hui à Saint-Denis, je ne peux plus, hélas, me fournir en viande non halal que chez Carrefour ou les jours de marché." Pourtant, une charcuterie se trouve "à quelques pas" de la mosquée, et au moins deux autres boucheries en ville vendent de la viande non halal, relèvent les contre-enquêtrices. Interrogé par Assbague et Ketfi, le prêtre indique être "déçu" de l'article du Figaro et précise que la phrase sur l'absence de viande non halal n'était pas de lui mais était un propos rapporté : "J'ai un peu été le porte-parole de ce que certains me disent ou de ce que j’entends. Oui, parfois on me dit “on n’est plus chez nous” et sur le halal, j’ai expliqué à la journaliste que c’étaient des choses que j’avais déjà entendues."

Extrait du Figaro Magazine du 20 mai 2016

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