"Mediapart" et Hanouna : les dessous d'une interview avortée
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"Mediapart" et Hanouna : les dessous d'une interview avortée

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Le 7 février, Cyril Hanouna a accusé "Mediapart" de l'avoir trompé au sujet d'une interview qu'il devait accorder au journal d'investigation dans le cadre du documentaire "Media Crash" sur les rapports entre presse et grands patrons. Nous avons vérifié.

L'acteur Gérard Darmon a fourni à Touche pas à mon poste (TPMP) un prétexte parfait pour se payer Mediapart. Le 7 février dernier, Cyril Hanouna et son équipe reviennent sur le vif débat qui a opposé deux jours plus tôt, sur le plateau d'On est en direct, l'émission de Laurent Ruquier, l'acteur Gérard Darmon à Edwy Plenel, fondateur de Mediapart. TPMP est quasi-unanime : Darmon a eu raison de s'en prendre à Plenel en remettant en cause ses méthodes journalistiques. À la manœuvre, et avant de rediffuser un extrait de l'altercation, Hanouna fait une confidence : "Ils lancent un film, là, Mediapart, qui sort bientôt là, je sais plus quand, on va pas leur faire... Je suis dans le générique, et ils ont essayé de m'interviewer. Et en fait, le SMS du journaliste pour m'interviewer, c'était pas du tout le même sujet que ce qu'il y a dans le film." Autour de lui, certains chroniqueurs s'étonnent. Hanouna enchaîne : "Ça n'a rien à voir. Ils m'ont demandé un truc... «Oui c'est sur la campagne présidentielle en fait, tous ceux qui vont jouer un rôle dans la campagne présidentielle etc.» C'est vrai qu'après quand tu vois la bande-annonce, tu te dis que c'est pas tout à fait le même délire hein !" 

Quelques minutes plus tard, Guillaume Genton, chroniqueur en plateau, en remet une couche : "Ce que décrivait Cyril, pardon, mais c'est dégueulasse. Essayer de convaincre quelqu'un de participer à un film, une interview, en lui faisant croire que c'est un autre sujet, pardon..." Il est coupé par Hanouna : "J'ai été sympa avec eux, je leur ai dit «oui, avec plaisir», et puis après j'ai pas pu. Et après, on l'a pas fait parce qu'on s'est renseignés, et on a su que c'était pour faire ça." Qu'entend Hanouna par "ça" ? L'animateur n'a pas donné suite à nos sollicitations. S'il ignorait en effet le thème global du documentaire, les rapports de pouvoir entre les médias et les grands patrons, il était bien informé du sujet de l'interview que lui proposait Mediapart. 

"Mediapart" réfute toute tromperie

Dans Media Crash, qui a tué le débat public ?, le documentaire de Mediapart et de l'agence Premières lignes (voir l'interview avec les auteurs ici, et notre émission ici), TPMP est finalement évoquée pendant huit minutes (le film dure en tout un peu moins d'1 h30). Alexis Lévrier, chercheur et spécialiste du journalisme, et Claire Sécail, chercheuse et historienne des médias, décortiquent l'émission de Cyril Hanouna et son rôle dans l'élection présidentielle à venir. Les deux universitaires notent la même omniprésence de l'extrême droite dans le dispositif hanounesque, et la très large place accordée à Éric Zemmour, ancien journaliste du groupe Bolloré (Canal +, CNews, C8...) désormais candidat à l'élection. Claire Sécail avait été invitée sur notre plateau en décembre 2021 pour partager ses analyses. À la fin de la séquence consacrée à TPMP, Valentine Oberti, journaliste à Mediapart et coréalisatrice du documentaire, explique simplement en voix off : "Cyril Hanouna nous avait donné son accord pour une interview, avant de finalement changer d'avis."

Jointe par Arrêt sur images, Valentine Oberti est tombée des nues en apprenant les reproches faits à Mediapart par Cyril Hanouna. Selon elle, le thème de l'interview n'a jamais été tenu secret. "Nous l'avons contacté une première fois en octobre pour lui proposer de réagir aux analyses de Claire Sécail. C'est un premier contact, mais il nous dit qu'il n'a pas le temps. Puis on le recontacte en lui proposant une interview d'une heure pour évoquer le rôle politique de TPMP dans la campagne présidentielle. La demande était claire et précise", développe la journaliste. Au sein de Mediapart, c'est le journaliste David Perrotin qui gère l'organisation de l'interview de Cyril Hanouna. Les textos échangés entre les deux hommes confirment qu'Hanouna a été une première fois approché pour "répondre" aux analyses de Claire Sécail en octobre et s'exprimer sur le "positionnement [de TPMP] vis-à-vis de Zemmour et de l'extrême droite"

Cette première invitation n'aboutira pas. "Les critiques d’Hanouna sont totalement mensongères et hypocrites, juge Perrotin. Hypocrites parce qu’à aucun moment nous n’avons menti sur le thème de l’interview. Dès octobre il sait qu'on interviewe Claire Sécail et qu’on souhaite qu’il réponde à ses accusations. Après, on le relance avec des textos polis. Je lui ai dit à deux reprises le thème de l’interview." Si Hanouna n'était pas informé que cette interview s'inscrirait dans un documentaire plus large écornant notamment son actionnaire principal Vincent Bolloré, Mediapart assure que c'est "le rôle d'Hanouna" dans la campagne qui devait être évoqué avec lui. "Il n'est même pas certain qu'on l'aurait interrogé sur le rôle de Bolloré dans ce dispositif", tempère Perrotin.

La chaîne intervient directement

Une seconde demande d'interview est envoyée en janvier, toujours "pour évoquer TPMP et sa place dans la campagne". Cyril Hanouna y répond d'abord favorablement, malgré un emploi du temps chargé : "Je pense que ça peut se faire avec plaisir". À plusieurs reprises, le thème de l'interview – "le rôle de TPMP dans la campagne" – est répété et une date est même fixée : le 31 janvier. Cyril Hanouna affirme pouvoir se libérer "30 minutes". Trois jours plus tôt, Hanouna s'enquiert une dernière fois du sujet de l'interview à laquelle il ne donnera finalement jamais suite. Les journalistes de Mediapart sont alors contactés par la directrice de la communication de C8, qui les informe que l'animateur n'honorera pas le rendez-vous fixé, sans plus d'explications. 

La chaîne avait-elle un problème avec le thème de l'interview ? Selon nos informations, la rédaction de Mediapart avait également sollicité C8 pour utiliser divers extraits de TPMP. Accord donné par C8. Dans un second temps, les réalisateurs du documentaire précisent quelles séquences seront utilisées : elles concernent presque toutes les passages d'Éric Zemmour dans l'émission d'Hanouna. Cette fois le ton change. C8 refuse l'utilisation de ses images, et oppose une fin de non recevoir. Contactée par ASI, Séverine Ray, directrice de la communication de la chaîne, n'a pas donné suite.

Hanouna soupçonne Plenel d'antisémitisme

Au final, la partie consacrée à l'émission de C8 dans le documentaire de Mediapart correspond aux diverses demandes d'interview adressées à l'animateur. Pour Valentine Oberti, "c’est vraiment une séquence de décryptage de TPMP. On est dans une partie sur la mainmise de Bolloré sur les médias. On décrypte avec Claire Sécail l’émission avec des extraits. On montre que dans le temps d’antenne consacré aux sujets politiques, 44% sont consacrés à Zemmour." Le documentaire revient aussi sur la place accordée aux ministres de la majorité, et rappelle que Marlène Schiappa, secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes, a eu droit à plusieurs primes spéciaux avec Hanouna

Mais sur le plateau de TPMP, le sujet du documentaire est vite laissé de côté pour développer de violentes critiques à l'égard d'Edwy Plenel. Alors qu'Hanouna rappelle à plusieurs reprises que Gérard Darmon "est un ami", il note à propos de la joute qui a opposé les deux hommes chez Ruquier : "Edwy Plenel a parlé beaucoup d'antisémitisme samedi soir. Vous savez, quand on parle un peu trop de quelque chose, c'est qu'il y a un souci à un moment." Valérie Bénaïm enfonce le clou : "On peut lui rappeler l'article qu'il avait sur les militants de l'organisation palestinienne Septembre Noir aux J.O. où il s'était félicité... enfin, pas félicité mais en tout cas il avait dit qu'on pouvait comprendre qu'on tue des athlètes israéliens." 

Un ressentiment de façade ?

Valérie Bénaïm fait référence à un texte ancien sur lequel Edwy Plenel avait déjà eu à s'expliquer. En 1972, lors des Jeux olympiques de Munich, un commando armé du groupe terroriste palestinien Septembre Noir prend en otage puis assassine onze athlètes israéliens. À l'époque âgé de 20 ans et militant au sein de la Ligue communiste révolutionnaire, Edwy Plenel écrit dans la revue Rouge, sous le pseudo de Joseph Krasny : "L'action de Septembre Noir a fait éclater la mascarade olympique. [...] Aucun révolutionnaire ne peut se désolidariser de Septembre Noir. Nous devons défendre inconditionnellement face à la répression les militants de cette organisation." Ces propos avaient refait surface en 2008 dans le livre de Laurent Huberson, Enquête sur Edwy Plenel (éditions du Cherche-Midi, 2008), et sont régulièrement utilisés pour discréditer la parole de Plenel. 

Dix ans plus tard, interrogé par CheckNews au sujet de ce texte, le fondateur de Mediapart avait déclaré : "Ce texte, écrit il y a plus de 45 ans, dans un contexte tout autre et alors que j'avais 20 ans, exprime une position que je récuse fermement aujourd'hui. [...] J'ai toujours dénoncé et combattu l'antisémitisme d'où qu'il vienne et sans hésitation." Joint par ASI, Edwy Plenel nous a simplement renvoyé au texte envoyé à l'époque à CheckNews. Du côté de Mediapart, on s'étonne également de voir Cyril Hanouna critiquer si durement le journal d'investigation : TPMP a invité une dizaine de fois des journalistes de Mediapart ces derniers mois, suite à diverses révélations et enquêtes. Des invitations, cependant, que les journalistes de Mediapart n'ont pas honorées.


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