Retraites : "La simplification à outrance de la réforme est une trahison"
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  • Avec
    Dan Israël et Arnaud Mercier
  • Presentation
    Nassira El Moaddem
  • Préparation
    Adèle Bellot
  • Réalisation
    Antoine Streiff et Louison Gasnier
Offert par le vote des abonné.e.s

Voilà un mois que l'exécutif tente de convaincre de la pertinence de la réforme phare du deuxième quinquennat Macron. Une réforme si longtemps repoussée par le chef de l'État, qu'il avait lui-même appelée de ses vœux dans son programme de campagne de 2017, mise en marche deux ans plus tard, puis interrompue par des grèves massives fin 2019, et finalement enterrée avec l'épidémie de Covid-19. La voilà qui revient en ce début 2023, non pas par la grande porte d'un débat parlementaire classique sur un projet de loi unique mais par la voie d'un projet de loi de finance rectificative de la sécurité sociale… Une première en France ! 

Depuis l'annonce officielle par la première ministre, Élisabeth Borne, du principe-phare de la réforme, soit le report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, tous les ministres et membres de la majorité font le tour des télés et des radios pour prêcher leur bonne parole. Comment ce pouvoir, qu'on dit rompu à l'exercice de communication, assure le service après-vente d'une telle réforme ? Face à la fronde sociale, de quelle manière a évolué la communication gouvernementale depuis un mois ? Quel rôle jouent les journalistes dans cette affaire ? Pour y répondre, Arnaud Mercier, professeur de sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-Panthéon-Assas ; et Dan Israel, journaliste à Mediapart où il coordonne le pôle économique et social – c'est aussi un ancien d'Arrêt sur images et un membre de notre conseil consultatif.

Chez Renaissance, personne pour débattre sur notre plateau

Il a été impossible de trouver des invité·es du côté de la majorité présidentielle pour interroger la stratégie de communication de l'exécutif sur la réforme des retraites depuis un mois. Nous avons lancé l'invitation à une dizaine de député·es Renaissance, jusqu'à solliciter la responsable presse du groupe de la majorité à l'Assemblée nationale. Personne ne voulait ou ne pouvait venir débattre sur le plateau d'ASI. Et c'est bien la première fois, me concernant, que cela arrive.

La stratégie de la pédagogie, "une fausse humilité"

Jamais depuis douze ans les syndicats n'avaient été aussi unis contre un projet gouvernemental. Jamais, non plus, des manifestant·es opposé·es à la réforme des retraites n'ont été aussi nombreux et nombreuses dans la rue, dixit le ministère de l'Intérieur lui-même. Aucun des axes de communication avancés par le gouvernement ne prend. C'est la preuve, pour lui, qu'il doit encore faire de la PÉ-DA-GO-GIE. "C'est aujourd'hui une parade archi-classique dans les stratégies de communication de dire, quand vous êtes mal, c'est parce que vous n'avez pas assez bien expliqué, analyse Arnaud Mercier. Cette rhétorique a une énorme vertu : elle évite de vous remettre en cause. Vous ne dites pas : «j'ai tort», vous dites «je ne me suis fait pas fait suffisamment comprendre». C'est une position en apparence d'humilité. Ce n'est pas vous qui êtes débile, c'est moi qui ai mal expliqué. C'est la posture habile d'un point de vue de communication […] qui consiste à dire, «je fais preuve d'humilité, je reconnais que nous n'avons pas été bons». Mais c'est une fausse humilité, parce que cela veut dire que je ne reconnais pas qu'il y a une erreur, qu'il y a une faille".

Pension à 1 200 euros : "La démonstration de Michaël Zemmour est imparable"

Un des exemples régulièrement donnés par les membres du gouvernement depuis le 10 janvier, c'est celui d'une soi-disant pension minimum à 1 200 euros pour tous. Mardi 7 février 2023, l'économiste Michael Zemmour a magistralement démontré sur France Inter le mensonge originel du gouvernement avec cette fausse promesse. Pourtant, le 15 janvier 2023, soit cinq jours seulement après la présentation de la réforme, le journaliste Dan Israel avait déjà démontré sur Mediapart le mirage de cette retraite à 1 200 euros.  D'autres journalistes ont également fait ce travail d'analyse. Comment expliquer qu'il a fallu attendre trois semaines avant que ce travail n'atteigne les grandes antennes nationales ? "Mediapart, c'est situé dans le paysage politique, analyse Dan Israel, on parle de la gauche donc les médias qui regardent ça se disent, «on n'est pas sûr». Et puis il y a une méconnaissance du sujet. Personne n'y comprend rien, c'est très technique ! Michaël Zemmour, il a fait tout ce travail technique par écrit sur son billet de blog Alter éco, c'est très détaillé, mais, là, dans sa démonstration en cinq minutes, il enlève les éléments techniques et garde le déroulé du raisonnement qui est imparable."

Simplifier à outrance, "c'est déjà un répertoire de trahison"

Du côté du gouvernement aussi, il y a la volonté très forte de simplifier la réforme dans son ensemble pour convaincre. Au risque de verser dans l'anecdote totémique, comme avec Gérald Darmanin et sa "maman" sur RTL le 5 février 2023. Ou au risque de "trahir", estime Arnaud Mercier analysant les images d'Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, invité le 31 janvier 2023 sur C8 dans l'émission Face à Baba de Cyril Hanouna. "Même s'ils étaient de bonne foi, c'est un répertoire de trahison que de simplifier une réforme aussi complexe en deux arguments à deux balles. La simplification est déjà un répertoire de trahison. Si vous y mélangez un peu de mauvaise foi, en essayant de vendre de la justice sociale, ca devient carrément un mensonge."

Peu de relais médiatiques en défense de la réforme des retraites

Même sur les plateaux de télévision, hormis les membres de la majorité présidentielle, il semble difficile de trouver des relais médiatiques en soutien de la réforme des retraites, sauf à verser dans la caricature. Le 26 janvier 2023, l'ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin est reçu sur BFMTV pour défendre le projet du gouvernement. "Il ne faut pas avoir la main qui tremble", assène-t-il. Le 9 février 2023, c'est Éric Zemmour, toujours sur BFMTV, qui répond au sujet de la réforme des retraites : "Je la voterai parce que c'est ma réforme,  j'avais dit 64 ans et j'avais dit un index pour les séniors".  "Les médias ont du mal à trouver des défenseurs de la réforme pour plein de raisons : d'abord, les manifestations mais aussi les sondages, commente Dan Israël. Les responsables politiques et les journalistes ont le nez dans les sondages. Tous disent que les Français sont contre, et qu'ils soutiennent les grévistes, d'où la tête de la journaliste de BFMTV."


ALLER PLUS LOIN

- "Les vrais-faux gagnants du minimum retraite", de l'économiste Michaël Zemmour, et tout son travail d'analyse sur son blog d'Alternatives économiques.
"La réforme des retraites, symbole d'un pouvoir en mal de récit politique", article du Monde du 1er février 2023.
- Le dossier spécial réforme des retraites de Mediapart avec plusieurs articles en accès libre : "Retraites, le coup de force de Macron".


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