Migrants : "La droite française est plus xénophobe que la droite allemande"

Arrêt sur images

Pourquoi les Allemands (et leurs médias) disent "Bienvenue" aux réfugiés

L'émission
Une vague de solidarité avec les migrants et réfugiés inouïe, enthousiaste, géante. Des appels à la solidarité jusqu'à la Une de quotidiens jusqu'alors réputés xénophobes. Des dirigeants et une population à l'unisson de ce mouvement. La vague de solidarité qui submerge l'Allemagne contraste singulièrement avec l'attitude des dirigeants, des médias et de la population française. De France, personne ou presque ne l'avait vue venir, ce qui confirme une fois de plus nous connaissons mal nos voisins allemands, et à quel point l'information sur ce pays est prisonnière de stéréotypes.

Pour tenter de comprendre ce qui se passe actuellement en Allemagne, trois invités : Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternatives Economiques et auteur de Made in Germany : le modèle allemand au-delà des mythes (Seuil, 2013), Rachel Knaebel, journaliste basée à Berlin qui collabore notamment à Bastamag et Politis, et Georges Marion, chroniqueur chez @si et ancien correspondant du Monde dans la capitale allemande.

L'émission est présentée par Daniel Schneidermann, préparée par Adèle Bellot et Justine Brabant
et déco-réalisée par Axel de Velp et François Rose.

La vidéo dure 1 heure et 14 minutes.

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Le résumé de l'émission, par Justine Brabant

Merkel l'inflexible (avec les Grecs) est devenue Merkel la généreuse (avec les migrants). Avant l'été, Allemagne dans les médias français rimait avec négociations autour de la dette grecque, donc avec austérité et inflexibilité. L'été est passé, avec lui les cortèges de migrants tentant de gagner l'Europe, et de toute évidence la donne a changé: l'Allemagne est devenue dans la presse française un exemple de générosité, d'accueil et de solidarité.

À l'image du correspondant de France 2 à Berlin, les journalistes se sont attardés sur les Unes chaleureuses de Bild, les réfugiés heureux d'avoir trouvé du travail outre-Rhin (à l'image de ce soudeur camerounais filmé par LCI), ou encore sur le site Flüchtlinge Willkommen qui permet de se déclarer volontaire pour héberger des réfugiés. "S'il y a cette vague de générosité, c'est aussi parce que les autorités n'étaient pas du tout préparées et n'ont pas assuré. Les gens ont aidé parce qu'ils n'avaient pas le choix: des gens campaient devant les bâtiments de la ville, sans eau ni nourriture, c'est pour ça que les associations locales ont pris le relais", précise d'emblée Rachel Knaebel.

Guillaume Duval ne se dit pas surpris par cette vague de solidarité: "L'Allemagne est au fond un pays très chrétien, et sur ces sujets, c'est une dimension qui compte. L'autre chose qui compte, c'est que l'Allemagne est elle-même un pays d'émigration depuis toujours: les Allemands ont tous un «oncle d'Amérique"– expérience que n'ont pas du tout les Français»", rappelle le rédacteur en chef d'Alternatives économiques.(Acte 1)

Si cette générosité a pu surprendre ceux qui connaissent mal l'Allemagne, c'est aussi que ces derniers mois avaient plutôt habitué les téléspectateurs français à d'autres images: rassemblements du mouvement islamophobe Pegida, manifestations à l'appel d'organisations d'extrême droite et heurts devant des centres d'accueil de migrants (notamment celui de Heidenau, dans la Saxe), menaces et agressions envers des propriétaires souhaitant louer à des familles immigrées... "Un problème très spécifique à l'est de l'Allemagne" auquel les médias français ont donné trop d'importance, assure Duval. (Acte 2)

Comment expliquer le mouvement d'aujourd'hui? En début de semaine, Daniel Schneidermann émettait une hypothèse : l'ordolibéralisme. Ordo-libéra-quoi ? L'ordolibéralisme, soit une forme de libéralisme née en Allemagne dans l'entre-deux-guerres. "Comme les adeptes anglo-saxons du « laisser-faire », les ordolibéraux refusent que l’Etat fausse le jeu du marché. Mais, contrairement à eux, ils estiment que la libre concurrence ne se développe pas spontanément. L’Etat doit l’organiser ; il doit édifier le cadre juridique, technique, social, moral, culturel du marché. Et faire respecter les règles. Telle est l’« ordopolitique » (Ordnungspolitik)", explique (avec ses coauteurs François Denord et Pierre Rimbert) Rachel Knaebel dans le Monde Diplomatique du mois d'août. Et s'il y avait derrière cette doctrine une morale qui pourrait également éclairer les positions allemandes sur les réfugiés ?

Mais en préparant l'émission– en se (re)plongeant dans le Made in Germany de Duval, en discutant avec des correspondants allemands à Paris, en lisant des analyses instructives–, d'autres hypothèses émergent. Nous les soumettons à nos invités sur le plateau. La première : la démographie. La générosité de l’Allemagne s’expliquerait en fait par son besoin de main-d’œuvre, assurait la députée Les Républicains (LR) Valérie Pécresse au micro de Radio Classique mardi dernier. "C'est faux. C'est une justification a posteriori", juge Georges Marion. "Ça n'a aucune pertinence, c'est un argument de Français!, s'emporte Duval. L'Allemagne est deux fois plus densément peuplée que la France aujourd'hui, si l'on suivait cet argument, c'est nous qui aurions besoin de gens qui viennent." (Acte 3)

Davantage que la démographie, c'est la différence de fondement idéologique entre la droite allemande et la droite française qui explique leurs prises de position respectives sur les migrants: "Je ne pense pas que l'attitude de Nicolas Sarkozy, qui compare ces problèmes à des problèmes de plomberie et de fuites d'eau, soit liée à la démographie française: je pense que la droite française a une tradition plus autoritaire, xénophobe, fondamentalement raciste que la droite allemande, qui elle est très chrétienne dans sa pensée et son idéologie", tempête le journaliste.

Exit l'argument démographique, donc. Quid des explications historiques? Pour l'ancien député européen Daniel Cohn-Bendit, qui tient désormais une chronique sur Europe 1, les Allemands éprouveraient un "sentiment de rédemption" lié au souvenir de l'Allemagne nazie. "Les souvenirs du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale sont une réalité permanente en Allemagne, cela joue indubitablement" estime Georges Marion. Dans les débats actuels en Allemagne, "les gens font référence au nazisme, mais ils font aussi référence aux millions de réfugiés allemands arrivés de Pologne et de République tchèque en Allemagne en 1945", observe Rachel Knaebel. (Acte 3)

L'immense déplacement de population qui a suivi la Seconde Guerre mondiale : cet épisode méconnu de l'histoire européenne est l'objet d'un documentaire, Les Déracinés (réal. Philippe Picard et Jérôme Lambert, Kuiv Productions), qui sera diffusé d'ici la fin de l'année sur France 5. Il raconte comment plus de quinze millions de personnes ont été chassées de leurs terres natales, en majorité des Allemands installés de longue date en Pologne et en Tchécoslovaquie. On y apprend qu'aujourd'hui en Allemagne, "un quart de la population actuelle est composé de ces expulsés et de leurs descendants".

Si l'on peut avoir du mal, en France, à comprendre ce qui se passe en Allemagne, c'est aussi à cause - on l'évoquait plus haut - de l'image tenace de pays de "Nein" et du "Grexit". Figure privilégiée de cette inflexibilité allemande : le ministre des Finances Wolfgang Schäuble. France 2 faisait en juillet le portrait de cet homme "arc-bouté", tenant d'un strict ordolibéralisme. (Acte 4)

Or, ces principes de stabilité monétaire et de rigueur budgétaire pourraient bien compliquer les efforts européens à destination des migrants. "Les Allemands ne mesurent pas le lien entre les deux problématiques : si on veut résoudre la question des réfugiés de manière positive pour l'économie européenne dans son ensemble, il va falloir s'endetter pour les accueillir, et dépenser de l'argent de l'argent public à l'échelle européenne", explique Duval. Pour le journaliste, la crise des réfugiés "peut-être une opportunité sous cet angle-là" : "il faut qu'elle soit l'occasion de remettre la question de la solidarité financière au sein de l'Union sur la table".

On termine en prenant des nouvelles d'une figure qui avait défrayé la chronique en 2010 : celle de Thilo Sarrazin. Ce cadre du SPD et ex-membre du directoire de la Banque centrale allemande a publié cette année-là L'Allemagne court à sa perte, un pamphlet sur les immigrés "incapables de s'assimiler" qui menaceraient l'avenir de l'Allemagne, vendu à plus de 1,3 million d'exemplaires. Un coup de canif dans la belle union sacrée allemande autour des réfugiés ? Georges Marion se veut plutôt optimiste : "Ça a été un gros succès de librairie, mais qui n'a pas eu de traduction politique. La seule traduction politique a été Pegida, qui a l'air plutôt en mauvaise passe". Guillaume Duval conclut d'un diagnostic sans concession : "Les vrais gens d'extrême droite, le vrai endroit où le racisme et la xénophobie sont devenus dominants et sont capables d'influencer l'ensemble du spectre politique, ça n'est pas l'Allemagne pour l'instant : c'est la France."


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Acte 1

Acte 2

Acte 3

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