Israël discuterait avec la République démocratique du Congo (RDC) pour pouvoir y transférer des Palestiniens de la bande de Gaza. C’est une information du Figaro, reprenant le Times of Israel (organe plutôt gouvernemental). Je tombe sur cette info sans prévenir. Pas tout à fait sans prévenir : depuis quelques jours, se multiplient les déclarations-ballons d’essai d'officiels israéliens, sur ce thème : la déportation (“volontaire”, précisent-ils poliment, car la communauté internationale a tout de même ses pudeurs) des Palestiniens de Gaza serait la seule issue possible de la guerre.

Donc, je tombe, comme des millions d’autres citoyens du monde, sur cette information. C’est tout de même enthousiasmant, d’être informés en temps réel. On mesure le progrès, depuis les Années 30. Il avait alors fallu une bonne guerre, puis la victoire des Alliés et le procès de Nuremberg, pour apprendre que les nazis, avant de les exterminer, avaient caressé le projet de déporter les Juifs à Madagascar, pour régler la question humainement.

Aujourd'hui on sait tout de suite. En temps réel. On pourrait apprendre la semaine prochaine qu’un premier charter de Palestiniens volontaires a été accueilli à Kinshasa, on n’en serait pas surpris. La France ferait connaître sa réprobation. Peut-être même qu’elle condamnerait officiellement, d'une voix forte, comme elle “condamne” les ballons d'essai des ministres israéliens. Le président des Etats-Unis ferait connaître son inquiétude, tout en continuant à livrer des missiles à flux tendu à l’Armée israélienne pour aider les “volontaires” à prendre la bonne décision. 

Je blague. Oui, je blague. Je lolle, si vous préférez. Comme je lolle par réflexe sur X, en découvrant l’incroyable info “pagorafi". Je blague noir, je blague amer, je blague douloureux, mais je blague. Que faire d’autre ? Que proposez-vous, ceux qui me reprochent de blaguer ? D'aller manifester samedi prochain à la République ? Comme chaque samedi depuis l’automne dernier ? Bien entendu, ces manifestations "font images", et sont donc nécessaires. Mais ensuite ? Que pouvons-nous faire d’une patate brûlante comme celle-ci, quand elle vous tombe entre les mains ? Quels adjectifs, quels superlatifs, quelle expression de l’indignation, sont à la hauteur de l’information ? Blaguant, je tente de me hisser au niveau de cynisme des auteurs de cette idée, en sachant que c’est peine perdue, que cette hauteur m’est inaccessible.

D’autant que je blague dans mon coin, mon petit placard du fond du pays des Droits de l’Homme. Je ne suis pas Bassam Youssef, chirurgien et humoriste égyptien, pour me payer le luxe de blaguer sur la chaîne Talk TV, devant l’animateur Piers Morgan. Vous vous souvenez ? Des millions de vues, pour cette brillante blague. Qu'a-t-elle empêché ? Rien. Ou peut-être ceci : elle a intronisé publiquement le gouvernement Netanyahu dans la catégorie des dictatures, contre lesquelles ne reste aucune autre arme que la blague. Blaguant ensemble, nous nous sommes découverts des millions.

En creusant la question, peut-être faut-il distinguer blague et blague. Outre cimenter la grande communauté des rieurs, la blague a sans doute davantage de chance d’avoir de l’impact, si elle parvient à se faufiler jusqu’aux oreilles des puissants moqués, et à chatouiller ce qui leur reste éventuellement de sens du ridicule. Si ma blague a peu de chances de parvenir jusqu’aux oreilles de Netanyahu, la blague de l’humoriste Malik Benthala, parodiant cruellement L’heure des pros, est certainement parvenue aux oreilles de Pascal Praud et Elisabeth Lévy. Allez savoir combien elle les aura chatouillés (un peu tout de même : la preuve, leurs fanzouzes se risquent à leur tour à des contre-blagues, visant Patrick Cohen, nettement moins réussies à mon sens).

Que nous laissent-ils d’autre que la blague, et son soulagement fugace ? Cinq secondes de satisfaction de se dire que l’on a gagné la compétition du cynisme (écoutez l’élue EELV du collectif Ibiza, Pauline Rapilly-Ferniot, en parler très bien ici). Alors prenons. C'est toujours bon à prendre. Vous n’aurez pas ma colère. Vous n’aurez pas mon indignation. Vous n'aurez pas mon dégoût. Vous n’aurez que ma blague. Notre petite victoire dans notre profonde défaite.  En attendant mieux.