Le 7 mars, date de l'enregistrement de cette émission marque le début du sixième mois de l'opération militaire menée par Israël dans la bande de Gaza. Des dizaines de milliers de morts plus tard, comment l'État hébreu communique-t-il ? Si dans les premières semaines, les images venues des Gazaouis étaient nombreuses, elle se raréfient : les journalistes ont été tués dans des bombardements, ou ont dû fuir. Ces vidéos et photos venues des habitants de Gaza, ont été peu à peu remplacées par d'autres, prises et diffusées par les soldats israéliens eux-mêmes. Ils se filment au milieu des ruines, pillant des maisons détruites ou dansant, dans des formats calibrés pour les réseaux sociaux.
Que dit ce nouvel afflux d'images de l'armée israélienne ? De son rapport à Gaza et aux Palestiniens ? Israël a beau promettre des enquêtes, difficile de comprendre si ces soldats échappent à tout contrôle, ou si au contraire ils répondent à une nouvelle stratégie de conquête par l'image. Pour tenter d'y voir plus clair, nous recevons Sarra Grira, journaliste et rédactrice en chef du journal en ligne Orient XXI et Samuel Forey (en visio), journaliste indépendant travaillant pour le Monde depuis Jérusalem.
L'humiliation des Gazaouis
Parmi les vidéos les plus vues, celle d'un soldat israélien déguisé en dinosaure, qui charge un obus dans un char avant que celui-ci ne tire. Pour Samuel Forey, "ces images servent pour nourrir un public israélien" mais circulent aussi beaucoup chez les Palestiniens : "Imaginez la colère et l'humiliation que peuvent ressentir les Palestiniens de Gaza en voyant quelqu'un grimé en dinosaure qui les bombarde".
Des influenceurs "embedded"
"Il y a tout un travail de production" derrière ces vidéos, rappelle Sarra Grira, qui pointe un autre élément majeur de la communication israélienne : "L'armée a embarqué des influenceurs avec elle. Des gens qui ont des milliers de followers sur Instagram, qui se sont retrouvés en train de partager une glace et de rire avec l'armée israélienne pendant qu'ils lançaient des obus sur des maisons à Gaza." Des chansons de rap, aux paroles haineuses, ont même été produites.
Le contrôle du corps des Palestiniennes
Sur leurs comptes instagram ou Facebook, des soldats israéliens s'affichent avec leurs prises de guerre : vêtements, bijoux, biens en tout genre. Mais certaines photos ont particulièrement choqué : on y voit des soldats s'afficher avec les sous-vêtements de femmes palestiniennes volés au cours des pillages. Pour Sarra Grira, ces gestes s'inscrivent dans la droite ligne de la logique coloniale à l'oeuvre à Gaza : "On est vraiment là, dans les codes coloniaux, de prendre comme butin de guerre tout ce qui relève des femmes de l'ennemi, s'approprier ça, fantasmer aussi sur les femmes colonisées."
Piller est-il compatible avec la religion ?
Des soldats qui posent avec les symboles du judaïsme, la menorah et la Torah, ou qui prient au milieu des ruines : la religion est une composante essentielle du conflit en cours. Mais comment concilier cette dimension avec les pillages ? Samuel Forey explique que certains rabbins ont eu à se prononcer sur la question pour rassurer les soldats, ou au contraire les dissuader : "Il faut rester de bons religieux n'est-ce pas ? Le retour des rabbins était plutôt «non non, ne prenez rien», mais il y a un rabbin qui a dit «prenez tout». C'est un rabbin, Shmuel Eliyahu, ultraradical. En fonction de ce dont on a besoin, si on veut ne pas piller, on peut trouver les discours de rabbin qui incitent à ne pas piller. On a aussi l'inverse. Tout cohabite."
Pour aller plus loin
- L'enquête d'Orient XXI sur cette nouvelle forme de communication chez les soldats israéliens.
- Celle de Samuel Forey sur le même sujet (et ses autres reportages sur place).
- Notre dossier sur le 7-0ctobre et l'attaque israélienne sur Gaza.
Cet article est libre d’accès
En vous abonnant, vous contribuez
à une information sur les médias
indépendante et sans pub.
Déjà abonné.e ? Connectez-vousConnectez-vous