Climat : l'hydrologue Emma Haziza trébuche dans les vapeurs d'eau
Initiales DS
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Climat : l'hydrologue Emma Haziza trébuche dans les vapeurs d'eau

Elle ne savait pas que "Thinkerview" était aussi consultée. Affirme qu'elle aurait été plus prudente sur Franceinfo, où elle coanimera une émission à la rentrée. Sans vraiment renier ce qui lui a valu de sévères critiques de chercheurs pointant une affirmation non fondée scientifiquement, et le fait que l'hydrologue exerce dans le privé.

C'est la super affiche écolo de Franceinfo pour la rentrée. Une émission hebdomadaire 100 % femmes, 100 % écolo. À ma droite, Salomé Saqué, journaliste "climat" au site Blast, qu'on ne présente plus depuis qu'elle a tenu tête à deux boomers hilares sur un plateau d'Arte, produisant une séquence de Don't look up à la française. À ma gauche Emma Haziza, l'hydrologue préférée de tout le PAF depuis quelques années, mobilisable jour et nuit en cas de crue ou, au contraire, de sécheresse. Bref, l'émission qu'il fallait absolument créer.

Mais voici que refait surface sur les réseaux sociaux un étrange extrait de l'invitation de Emma Haziza sur la chaîne YouTube Thinkerview, au printemps dernier. "Est-ce que le CO2, ce n'est pas l'arbre qui cache la forêt ?", se demande l'hydrologue. La forêt ? La vapeur d'eau, qui serait selon elle la vraie responsable du réchauffement. La sortie de route commence à 27'55'', dans la première demi-heure d'une émission de deux heures, par ailleurs passionnée, et stimulante. "La vapeur d'eau est le premier gaz à effet de serre sur la planète. C'est 95 % des GES (Gaz à effet de serre, ndlr), 4,1 % c'est le CO2. Le reste c'est le méthane et tous les gaz fluorés." 

À en croire l'hydrologue, l'artificialisation des sols, et l'exploitation récente, dans plusieurs pays, de gigantesques nappes phréatiques fossiles, non renouvelables, très profondément enfouies, auraient produit une accélération du cycle de l'eau, génératrice d'une augmentation du taux de vapeur dans l'atmosphère. Et la vapeur d'eau étant un agent du réchauffement, la voici promue coupable aux côtés, voire devant, le CO2, pourtant coupable principal selon le consensus scientifique mondial. CQFD. Et arrive donc la phrase fatale. Verbatim : "J'ai pas dit qu'il fallait pas décarboner, mais je pose la question, le CO2, est-ce que c'est pas l'arbre qui cache la forêt ?" L'animateur, flairant la phrase-choc : "Redis-moi ça ?" Elle répète la formule sur "l'arbre et la forêt", et ajoute : "Est-ce que le vrai problème, c'est pas juste le dérèglement du cycle de l'eau ?" Mais alors, pourquoi ce rôle néfaste de la vapeur d'eau est-il si rarement abordé par les scientifiques ? Faute d'indicateurs fiables, selon elle. "Parce qu'on ne peut pas le mesurer depuis longtemps" à la différence des calottes glaciaires, terrain préféré des climatologues. 

Sur le moment, cette minoration du rôle du CO2 dans le réchauffement passe inaperçue. Mais à la faveur de l'annonce de l'émission de Franceinfo, le climatologue François-Marie Bréon, président de l'Association française pour l'information scientifique (Afis, qui croise régulièrement le fer avec les écologistes, sur le nucléaire ou le glyphosate, voir notre émission) se fend d'un thread rectificatifPour Bréon, qui ne conteste nullement le rôle des vapeurs d'eau comme gaz à effet de serre, elles ne sont pas pour autant les vraies coupables. Le vrai coupable, c'est le réchauffement anthropique, provoqué par les émissions de CO2 (qui comptent, rappelle-t-il, pour environ 35 % dans le réchauffement, et non 4,1 % comme l'a avancé l'hydrologue). Et "plus l'atmosphère se réchauffe, plus elle accueille de vapeur d'eau", m'explique-t-il à propos de ce mécanisme physique identifié depuis des décennies. Cette augmentation du taux de vapeur d'eau dans l'atmosphère, incontestable, n'est donc, en l'état actuel des connaissances, qu'une conséquence, et non la cause unique, du réchauffement. "Énorme comparé aux réserves d'eau planétaires, ce volume supplémentaire d'eaux extraites reste neutre par rapport au système climatique", résume l'hydrologue du CNRS Simon Gascoin.

Ce ne serait qu'une légitime controverse scientifique, si elle n'était pas, en pleine bataille climatique, de nature à ouvrir une brèche dans le consensus scientifique mondial, laborieusement construit par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) de rapport en rapport, et à dégager un boulevard pour tous les climato-scepticismes sur le mode : "Comment donc ? On nous aurait menti sur le rôle du pétrole et du charbon ?"

"Pendant longtemps, j'ai été d'accord avec Bréon", me raconte Haziza, très affectée par la controverse, à laquelle elle ne s'attendait pas. Jusqu'à ce qu'elle découvre, dit-elle, l'exploitation des nappes phréatiques profondes, et soit alors tentée de changer de camp, dans cette question de la poule et de l'œuf, et à lâcher la fameuse phrase sur l'arbre et la forêt. "C'est la première fois que j'utilisais cette image. C'est pas une phrase malencontreuse, c'est une phrase qui m'est venue spontanément. Au bout d'une heure et demie (en fait, à la première demi-heure, ndlr) je me lâche, on est en fin de journée, sur le mode du dialogue, je suis fatiguée, je ne savais pas que Thinkerview pouvait avoir un million de vues. Je n'aurais jamais parlé comme ça sur France Inter ou sur Franceinfo."

Et l'hydrologue d'expliquer qu'elle s'est sentie "libérée" par une allusion, quelques minutes plus tôt, de l'intervieweur invisible de la chaîne, qui se fait appeler "Sky". Que dit "Sky" (à 26'30'') ? "On a des scientifiques qui font de l'autocensure, qui sont parfaitement au courant et qui se refusent à dire que l'augmentation de la température ajoutée à l'augmentation de la concentration en humidité est létale." Ciel ! Des scientifiques qui cacheraient un risque mortel ? Interrogé, "Sky" refuse de me dévoiler sa source, mais explique que cette "autocensure" portait sur un autre point : non pas la question de l'augmentation de l'humidité dans l'atmosphère, mais celle de sa létalité en période de canicule. Malentendus en chaîne, donc, dans ce dialogue tout en sous-entendus et en allusions rarement précisées, sur le mode Thinkerview, chaîne qui reçoit des personnalités indésirables sur les médias mainstream (disclaimer : j'y ai été invité en 2019), mais à qui ses détracteurs reprochent de longue date sa tonalité "on nous cache des choses".

Complotiste, Emma Haziza ? "Me comparer à Claude Allègre, dire que je suis complotiste, ça me fait vomir", s'insurge-t-elle au téléphone.  De fait, l'hydrologue ne postule nullement l'occultation volontaire de "vérités dérangeantes", mais plus classiquement la sous-estimation de sa discipline, l'hydrologie. "Le Giec est principalement composé de climatologues, qui ont tout découvert à travers les calottes glaciaires. On est toujours parti du postulat que la vapeur d'eau était naturelle. Or moi je dis qu'elle peut être anthropique. Cela dit, tout ce que dit le Giec, j'adhère à 1000 %."  Bref, Haziza révère le Giec, mais souligne ses lacunes en hydrologie. Elle ne regrette pas son image-choc, tout en la regrettant. Elle se dit blessée par les attaques, mais gratifie ses contradicteurs d'épithètes que je ne reproduirai pas ici, pour rester sur l'aspect scientifique des choses. De fait, au cœur de la tempête, elle ne semble plus savoir exactement où elle habite, entre discours public et conversation privée, entre certitudes scientifiques et hypothèses hétérodoxes, qui seront peut-être confirmées un jour. Ou pas.

Au fond, oui, d'où parle Emma Haziza ? Son faux pas est aussi venu rappeler que l'hydrologue n'est pas, au sens propre, une chercheuse. Même si elle se présente sur son compte Twitter comme "researcher in climate change", elle n'a jamais, après sa thèse, produit aucune publication soumise au jugement de ses pairs. À la place, elle a fondé Mayane, une société de conseil aux collectivités locales face aux risques climatiques et hydrologiques. Indépendante, elle ne s'interdit pas les incursions dans les sciences sociales, notamment à propos de l'acceptation du risque (son Thinkerview est très éclairant sur le sujet). Et de souligner sa disponibilité totale, notamment médiatique, pour faire avancer sa cause. 

Insuffisant, Votre Honneur. "Elle est experte, ou consultante, et devrait être présentée comme telle", estime François Gemenne, lui-même chercheur sur le climat et les migrations. Chercheuse ou consultante, nuances trop subtiles ? Non. "Les premiers sont au service du public, les seconds au service d’intérêts privés, rappelle Gemenne. Ce n’est pas déshonorant, mais c’est fondamental." Après avoir, dans un premier temps, soutenu Haziza face aux attaques dont elle a fait l'objet, Gemenne, après visionnage de Thinkerview, assure être "tombé de sa chaise : on frise le délire complotiste"

"Peut-être que j'ai tout faux. C'est quelque chose que je perçois", répète Haziza. Une simple intuition, alors, ce rôle déterminant des vapeurs anthropiques ? "Bien sûr, ce n'est à ce stade qu'une intuition." Peut-on, perçue comme scientifique, intervenir dans l'espace public sur le dérèglement climatique en avançant des "questions", des intuitions de franc-tireuse, des "perceptions" non encore validées par les pairs, en multipliant les "je peux me tromper, mais" ? Je lui dis que je pense personnellement que non. "Je suis d'accord", répond-elle. Un peu tard ?

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