Viande, lait, blé, etc : comment on a fabriqué (malgré nous) une "fake news"
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Viande, lait, blé, etc : comment on a fabriqué (malgré nous) une "fake news"

On se demande comment ça marche, les fake news. Pourquoi les gens prennent tant de plaisir

à propager des informations fausses. Eh bien, on a une réponse. On a produit de la fake news, ce week-end. Oui, nous. Involontairement, bien sûr. Et du coup, on voit mieux comment ça marche. De l'intérieur.

C'était dans l'émission de vendredi dernier.

Monique Pinçon-Charlot, sociologue des riches et des dominants, est sur notre plateau. Il s'agit de brosser un tableau sociologique de l'arrière-plan l'affaire Fillon. Et tout d'un coup, alors qu'il est question des dimensions du domaine des Fillon, dans la Sarthe, l'invitée s'exclame : "218 kilos de viande fraîche sont servis chaque année au propriétaire". D'où le tient-elle ? D'une enquête du Canard du 4 janvier, laquelle enquête cite le contrat de fermage conclu entre les Fillon et leur fermier. Dans la foulée, elle lit intégralement le passage de l'article du Canard.

Après l'émission, nous estimons que c'est un moment de télé intéressant (pas tellement du fait du scoop médiéval, mais aussi du fait de la visible stupéfaction de notre second invité). On isole ce moment, et on le poste sur Youtube et sur Facebook, comme nous le faisons chaque semaine, pour donner aux non-abonnés un aperçu de notre émission.

Et là, c'est le carton. 65 000 vues sur YouTube, tout le samedi dans le top des tendances de la plateforme mondiale de streaming ; 18 000 partages et plus de 700 000 vues sur Facebook. Des chiffres stratosphériques.

Sauf que c'est faux. Les Fillon ne se font pas payer en nature. Les fermages sont réglés en espèces. Ou par chèque. Ou par virement. Ou on ne sait comment. Mais pas en viande ni en blé. Le caractère délicieusement désuet des termes du bail ne dépasse pas les termes du bail. On nous le signale d'abord dans le forum. Puis sur Twitter. On vérifie. C'est vrai. Jusqu'en 1994, les contrats de fermage étaient stipulés en nature, et réglés en argent. Depuis 1994, ils ne sont même plus stipulés en nature. Le droit des fermages s'adapte, il ne faut pas croire. En tout état de cause, les Fillon n'ont jamais été payés en nature. Et donc, samedi après-midi, nous rectifions ici, et aussi dans les textes d'accompagnement de nos videos sur Youtube et Facebbok.

Comment cette info (fausse) a-t-elle passé nos filtres ?

En vérité, nous avions repéré cet article du Canard. Et nous avions prévu de le citer sur le plateau, avant même que Monique Pinçon-Charlot en parle elle-même.

L'article du Canard , même s'il est incomplet, n'est pas factuellement faux. Au sens propre, il décrit ce que stipule le contrat. Monique Pinçon-Charlot franchit un pas supplémentaire, en laissant penser que les Fillon se font "vraiment" livrer de la viande, du lait et du blé. Ce qui, pour le coup, est faux. Mais nous ne le précisons pas sur le plateau.

Silos, citernes, et congélateurs

Plusieurs facteurs ont contribué à ne pas éveiller notre méfiance sur cette info. Elle a été publiée dans Le Canard, sous la signature d'un de ses investigateurs chevronnés, Hervé Liffran. Elle n'a pas été démentie à l'époque. Elle s'intègre dans une tempête de révélations du même ordre sur les Fillon. Elle est reprise sur le plateau, sur un ton très assuré, par une éminente sociologue, spécialiste des "riches", et auteure d'un documentaire d'immersion dans les châteaux (Les ghettos du Gotha, dont nous diffusons deux extraits dans l'émission). Voilà pourquoi nous ne nous en méfions pas particulièrement. Et voilà sans doute pourquoi tant d'internautes, ensuite, de bonne foi, font buzzer notre video.

Bref. A notre réunion du lundi matin, nous voici bien embarrassés. Mais que faire ? Retirer la video ? Ce serait possible. Mais ce serait effacer les traces de l'erreur. En outre, elle serait immédiatement réintroduite partout par de petites mains malicieuses.

Solution la moins mauvaise : remplacer cette video buzz par une autre, avec bandeau déroulant expliquant que les Fillon ont été payés en monnaie, sonnante et trébuchante. Ou en chèque. Ou par virement. C'est ce que nous venons de faire, ce lundi.

Fondamentalement, aurions-nous pu éviter cette incursion involontaire dans les fake news ? Sans doute. L'article du Canard aurait dû nous paraître invraisemblable. Il aurait dû éveiller chez nous la simple petite veilleuse du bon sens. Comment imaginer que les Fillon se fassent livrer viande, lait et blé dans leur manoir ? Disposent-ils de citernes ? De silos ? D'un vaste parc de congélateurs ? Penelope allait-elle les vendre sur les marchés ? Notre défaut de vigilance en dit long sur notre méconnaissance de la ruralité. Bon, on assume. On ne peut pas tout connaître.

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