F2 / femmes exclues d'un café : contre-enquête du Bondy Blog
Brève

F2 / femmes exclues d'un café : contre-enquête du Bondy Blog

Un café de Sevran interdit aux femmes ? Le 7 décembre dernier, une séquence diffusée dans le JT de France 2 montrait deux femmes membres du collectif "La Brigade des Mères", filmées en caméra cachée, mal accueillies dans un PMU de la ville de Seine-Saint-Denis. La séquence, qui se voulait la preuve que dans certains quartiers, "les femmes subissent" l'occupation de l'espace public par les hommes, a été citée par plusieurs responsables politiques comme preuve de la progression de l'islam radical dans les banlieues. Trois mois plus tard, le Bondy Blog publie une contre-enquête. Qui critique notamment le montage orienté effectué par la journaliste de France 2.

La séquence a beaucoup fait parler. Le 7 décembre dernier, le JT de 20 heures de France 2 diffusait un reportage dans lequel deux femmes, Nadia Remadna et Aziza Sayah, membres du collectif "La Brigade des Mères", filmaient en caméra cachée un bar de Sevran. Un bar dans lequel, expliquait la journaliste de France 2 Caroline Sinz, "[des] hommes sont choqués" de voir ces deux femmes. "Dans ce bar, y a pas de mixité", entendait-on un client dire. "Aller dans un bar, ici, c'est braver un interdit", déclarait Sinz en conclusion. La journaliste expliquait que pour Remadna et Sayah, cet interdit venait d'un problème de "tradition, de culture, mais aussi de religion".

Trois mois après la diffusion du reportage de France 2, le Bondy Blog a mené une contre-enquête dans ce même bar PMU de Sevran. Première constatation pour Nassira El Moaddem, directrice du Bondy Blog déjà reçue sur notre plateau pour parler notamment de la représentation de l'islam dans les médias: ce bar PMU, le Jockey Club, est un lieu pour les "mordus de jeux de grattage et de paris hippiques". "Difficile de voir un quelconque lien entre l’établissement et la religion : l’islam proscrit les jeux de hasard et la consommation d’alcool", remarque El Moaddem.

Bondy Blog, 10 mars 2017

Ce bar est-il vraiment interdit aux femmes ? Pas du tout, relate la journaliste, qui s'est rendue quatre fois dans le bar, dont deux fois sans prévenir. "Certes, elles [les femmes, ndlr] sont moins nombreuses que les hommes à fréquenter le café", note la journaliste. Qui cite une habitante du quartier: "C'est un bar PMU. […] Un endroit où ça joue plus au grattage qu'autre chose. Je n'y vais pas parce que c'est pas un endroit où j'ai envie de me poser". Mais d'autres femmes sont des "clientes fidèles" du Jockey Club. Parmi celles-ci, El Moaddem en a interrogé plusieurs sur la fameuse séquence polémique. Elles oscillent entre incompréhension et colère face aux déclarations.

Cette présence des femmes dans le bar, le Bondy Blog n'est d'ailleurs pas le seul à l'avoir constatée. Dans sa contre-enquête, El Moaddem cite également un journaliste de Complément d'Enquête (France 2), Mathieu Fauroux. Ce dernier est allé au PMU de Sevran en janvier, en repérages pour un éventuel reportage sur les femmes. "Dans ce bar PMU précisément, oui, j’ai bien vu qu’il y avait des femmes et que c’était des clientes fidèles, je leur ai parlé", raconte-t-il au Bondy Blog. A ce jour, aucun sujet sur Sevran n'a été diffusé par le magazine d'investigation.

Retour sur la séquence polémique

Quid donc de la caméra cachée, dans laquelle on entend quelqu'un présenté par la journaliste de France 2 comme le patron dire "le mieux c’est d’attendre dehors. Ici, il n’y a que des hommes" ? Le propriétaire du Jockey Club, Amar Salhi, soutient qu'il n'est pas celui qui a prononcé ces mots. Et affirme que les deux femmes sont restées près de vingt minutes, alors qu'à peine 1 minute 30 de caméra cachée a été diffusée sur France 2. Salhi, père de famille de 59 ans d'origine algérienne mais qui ne s'est plus rendu en Algérie depuis 1990, raconte le Bondy Blog, affirme avoir proposé aux deux femmes du collectif de prendre un verre à leur arrivée, voyant qu'elles discutaient avec un groupe de clients.

Le patron, comme plusieurs clients, s'en prennent au montage de France 2. Plusieurs affirment au Bondy Blog avoir proposé aux deux femmes de leur offrir une consommation, que ce soit avant ou après l'altercation montrée à l'écran. Quant au jeune homme que l'on entend dire "Dans ce café, il n’y a pas de mixité. On est à Sevran, on n’est pas à Paris. T’es dans le 93 ici ! C’est des mentalités différentes, c’est comme au bled", il se défend en expliquant que les deux femmes ont "cherché à me provoquer", en évoquant la Syrie et le fils de l'une d'elles, parti là-bas. "On lui a répondu que c'était pas notre problème", explique le jeune homme, dont le nom a été modifié. Il ajoute : "elles ont eu ce qu'elles voulaient entendre". Un militant associatif interrogé par le Bondy Blog dénonce de son côté "la trajectoire politique prise par Nadia Remadna, qui aujourd'hui «flirte avec les discours d'extrême droite»", raconte El Moaddem.

Les deux membres du collectif "La Brigade des Mères", Ramadna et Sayah,
reportage du JT de 20 heures de France 2

Contactée par cette dernière, Remadna a refusé de répondre à ce reproche. Elle explique en revanche : "Ni moi, ni Aziza n’avons dit qu’il n’y avait aucune femme qui rentrait dans ce bar. Ce sont les politiques qui ont ensuite surenchéri. Je ne suis pas responsable de ce que disent les gens".

Sollicitée par le Bondy Blog, la journaliste de France 2 a refusé de répondre. Son reportage est régulièrement cité par plusieurs responsables politiques, notamment du FN, comme preuve de la progression de l'islam radical dans les banlieues. Lors des primaires organisée par le PS et ses alliés, Benoît Hamon avait été accusé d'avoir relativisé le phénomène, évoquant des "cafés ouvriers" où "historiquement", les femmes n'étaient pas les bienvenues. Reçu sur le plateau de L'Emission politique (France 2) jeudi 9 mars, le candidat a dû répondre à Laurent Wauquiez, qui a évoqué cette polémique. "Au fond, il apparaît aux yeux de la droite que le sexisme ne serait apparu que le jour où les musulmans sont apparus en terre de France", a notamment rétorqué Hamon.

Le patron du bar, Salhi, a lui décidé de se tourner vers la justice. Le 9 mars dernier, un huissier s'est déplacé au siège de France Télévisions, "pour tenter de récupérer l’enregistrement de la caméra cachée, raconte le Bondy Blog. Fin de non recevoir opposée par le groupe de l’audiovisuel public". Le propriétaire du Jockey Club a aussi décidé de porter plainte contre le groupe, pour "diffamation et provocation à la haine raciale".

Lire aussi la chronique de Daniel Schneidermann : errances de journalistes dans les bars perdus de la République 

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