"La vie continue" : une plage à Gaza
chronique

"La vie continue" : une plage à Gaza

En mai 68, j'ai dix ans. Un mois durant, "les affrontements" comme le rapporte Europe 1 chaque matin, ravagent le quartier latin. Barricades, pavés arrachés, charges policières, reportages enflammés, occupation, fermeture et réouverture de la Sorbonne. Je vis à cinq stations de métro de l'Odéon.  Mes nuits sont paisibles. Pas un seul tir de lacrymo ne les troublera. Ma classe de CM2 se poursuit tranquillement. Tout juste ne vais-je plus jouer au Luxembourg, trop proche de la rue Gay Lussac. Seule traduction des "événements" dans mon quotidien : pour des motifs obscurs, la suppression de la solennelle distribution des prix de fin d'année, avec élus débonnaires en écharpe tricolore.

En 1984, je me trouve en reportage en Nouvelle Calédonie, au coeur de la première insurrection indépendantiste. Le territoire est zébré de barrages. Entre caldoches et kanaks, en brousse, les affrontements sont meurtriers. Au départ de Nouméa, chaque matin, les reporters métros se rendent "sur le front", qu'ils atteignent en quelques heures de voiture.  Au retour, ils retrouvent leurs hôtels, leurs dîners de langoustes, les plages de Nouméa bondées d'une foule joyeuse.

Tous les reporters de guerre le savent : au coeur de l'horreur multiforme (bombardements, affrontements, rafles), à quelques kilomètres, à quelques quartiers, parfois à quelques pâtés de maison, la vie poursuit paisiblement son cours. Il est toujours possible de photographier ou de filmer "la vie qui continue". On ne fait généralement pas ces images-là, parce qu'aucune rédaction ne les achèterait. Elles ne seraient pas bankable. On zoome sur le massacre, sur la destruction, sur la détresse. Pas de plan large. Cela ne signifie pas que ces images d'horreurs soient plus fausses ou mensongères que les autres. Elles sont l'événement.

Je vous raconte ça, à cause de l'émoi provoqué hier sur mon réseau favori par cette vidéo, postée par Julien Bahloul (nous vous avons parlé ici de cet agent d'influence israélien).

Le blog Obsessions est publié sous la seule responsabilité de Daniel Schneidermann, sans relecture préalable de la rédaction en chef d'Arrêt sur images.

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