"Cache" du Hamas dans un hôpital : la "preuve" par le calendrier
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"Cache" du Hamas dans un hôpital : la "preuve" par le calendrier

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L'armée israélienne a présenté des "preuves" en vidéo que le Hamas aurait caché des otages sous un hôpital de Gaza. Des images reprises sans recul par les médias français... Alors même qu'un document présenté par l'armée israélienne comme une "liste de noms de terroristes" n'est qu'un calendrier avec le nom des jours de la semaine écrits en arabe.

Le soir du 13 novembre 2023, l'armée israélienne annonce être entrée dans les souterrains d'un hôpital de Gaza où des otages du Hamas auraient été détenus par le groupe armé. Des images filmées par le porte-parole de l'armée, Daniel Hagari, ont aussitôt été publiées sur les réseaux sociaux de l'institution. "Images spéciales de l'hôpital Rantisi à Gaza - au sous-sol, une pièce a été trouvée avec des panneaux indiquant que des otages y étaient détenus, un quartier général souterrain et une pièce pleine d'armes à l'intérieur de l'hôpital", annonce le tweet du porte-parole.

Dans une vidéo de plus de deux minutes, Hagari met en scène une visite commentée de cette "cache du Hamas" que l'armée israélienne aurait découverte sous un hôpital pédiatrique de Gaza, nommé comme l'hôpital al-Rantisi par les forces israéliennes. Il se filme montrant plusieurs "preuves" selon lui du passage d'otages israéliens et de la présence de "terroristes" du Hamas, parmi lesquelles une moto portant des traces de balles, des couches et un biberon laissés sur place, ou encore un rideau placé devant un mur. Mais surtout, il s'attarde sur une feuille de papier au mur, sur laquelle un tableau a été griffonné et chaque case remplie par des chiffres et des mots en arabe. "Il y a une liste en arabe, qui dit : «L'opération al-Aqsa contre Israël a commencé le 7 octobre»." 

La caméra zoome sur le tableau et on distingue sous les mots arabes ce qui ressemble à des dates écrites en chiffrement américain (le mois d'abord, le jour ensuite) : "10/07", "10/08". Un deuxième tableau en dessous semble correspondre au mois de novembre, avec des dates commençant par "11/". Daniel Hagari poursuit : "C'est une liste de gardiens, où chaque terroriste écrit son nom et a un tour de garde pour surveiller les gens qui étaient là." Pas de doute, selon les forces de défense israéliennes, donc : les mots arabes au-dessus de chaque date chiffrée sont une liste de noms de militants du Hamas. 

Une information que semble confirmer un autre porte-parole de l'armée israélienne, Avichay Adraee, qui partage sur X (ex-Twitter) une photo de ce tableau et déclare : "Dans le sous-sol du bâtiment à Gaza, un journal intitulé «La bataille d'Al-Aqsa» a été trouvé. Il reprend les jours de la semaine de cette sanglante attaque terroriste du 7 octobre et était apparemment destiné à l'usage des saboteurs qui gardaient le bâtiment.."

"Les noms qu'il montre sont lundi, mardi, mercredi"

Mais dès la publication de cette vidéo, de nombreux internautes arabophones ont fait remarquer que cette liste de "noms des terroristes" ressemblait davantage à un simple calendrier. "C'est juste un emploi du temps normal, du lundi au dimanche, a fait remarquer l'un d'eux. Ils n'ont pas de bases en lecture d'arabe." Pour l'auteur et professeur d'économie Joshua P. Hill, ces images sont de la "propagande" : "Les noms qu'il montre sont lundi, mardi, mercredi, etc., écrit-il. Parce que c'est un calendrier." Sur TikTok, un utilisateur arabophone s'est amusé à comparer chaque "nom de terroriste" avec les mots arabes des jours de la semaine : "Comme vous le voyez, ce soldat s'appelle Samedi. Et vous voyez ce symbole ? C'est Dimanche, c'est le grand chef. Et Lundi, vous le voyez, il est juste-là. Enfin, on a monsieur Mardi, lui, c'est le lieutenant-général."

"Vous avez trouvé dans un hôpital un calendrier qui indiquait les jours de la semaine depuis le début d'une guerre qui a provoqué l'arrivée d'un grand nombre de morts et de blessés à l'hôpital", s'est moqué un autre. "Quelle découverte étonnante... Est-il possible qu'un calendrier papier se trouve dans un hôpital ?!" Cette vidéo est "absolument étrange" pour le spécialiste de la région Charles Lister, qui travaille à l'Institut du Moyen-Orient. "Elle montre clairement une cave dans un hôpital de l'OMS qui a été utilisée comme abri pendant les bombardements, mais la présence de toilettes, de douches, de couches pour bébés et de chaises devient une «preuve» de la présence d'otages", a-t-il écrit sur X, en soulignant surtout, lui aussi, que "la «liste» à la fin de la vidéo n'est qu'un calendrier avec des dates et des jours".

Sur les chaînes d'info, des "images édifiantes" reprises sans recul

Mais si l'armée israélienne n'a pas décelé le problème de ces jours de la semaine écrits en arabe qui ne sont donc pas des "noms de terroristes", il ne faut pas non plus compter sur les médias français pour les déchiffrer. Le 14 novembre, les matinales de toutes les chaînes d'info reprenaient les images-, souvent avec un usage du conditionnel de circonstance, mais sans remettre frontalement en doute l'affirmation israélienne selon laquelle le Hamas aurait utilisé cet hôpital pour y cacher des otages. 

Sur CNews, le présentateur de la matinale Romain Desarbres qualifie les images de l'armée israélienne de "glaçantes", tandis que ses collègues de LCI les estiment "édifiantes". "Quand on voit ces images, ça donne quand même la réalité de ce que c'est, cette prise d'otage", estime sans recul l'éditorialiste de LCI Magalie Barthès, tandis que sur CNews, le général Bruno Clermont, "consultant défense" de la chaîne d'info, n'y va pas par quatre chemins : "En tout cas, on a une preuve qu'il y avait des otages détenus sous cet hôpital."

BFMTV se trompe, mais ne diffuse pas l'image de la "liste"

BFMTV n'a pas diffusé les images de cette "liste" à l'antenne. Le 14 novembre, dès 6 h 35, la chaîne couvre elle aussi ces "découvertes" dans un sujet de la matinale, diffusé ensuite plusieurs fois dans la matinée, mais le sujet réutilise d'autres séquences de la vidéo du porte-parole Daniel Hagari et ne se penche pas sur la question du calendrier. L'article qui reprend le sujet sur le site de BFMTV, en revanche, est plus long, et s'appuie notamment sur la photographie tweetée par le lieutenant-colonel Avichay Adraee. "Selon Avichay Adraee, écrit BFMTV, ce document «reprend les jours de la semaine de la sanglante attaque terroriste du 7 octobre» et «était destiné à l'usage des saboteurs qui gardaient le bâtiment»."

L'article cite également les propos de Daniel Hagari dans sa vidéo : "«Il s'agit d'une liste de gardiens, où chaque terroriste écrit son nom et où chaque terroriste a sa propre équipe pour garder les personnes qui se trouvaient ici», affirme pour sa part le porte-parole de l'armée Daniel Hagari dans la vidéo visible plus haut dans cet article." BFMTV ne propose aucune vérification de ces affirmations de l'armée israélienne. La première version (il a par la suite été modifié) de cet article n'offre donc qu'une explication : celle d'une liste de noms, alors pourtant déjà remise en cause partout en ligne. L'article est ensuite mis à jour à 14 h 38, pour indiquer : "De leur côté, des observateurs assurent que ce tableau n'est en réalité qu'un simple calendrier présentant des jours et des dates." D'autres articles de la presse en ligne, comme celui du Point et du Parisien, qui tiraient une partie de leurs informations d'une première dépêche AFP scriptant la vidéo de l'armée israélienne, ont également repris sans distance les propos de Hagari affirmant qu'ils s'agissait des noms de terroristes. Aucun de ces deux articles n'a depuis été corrigé. Quant à la vidéo d'illustration du Parisien, qui reprend et sous-titre les images de l'armée israélienne, elle oublie carrément de préciser leur source.

Sur le plateau de BFMTV, la question de cette prétendue "liste de noms" n'est pas abordée : la seule mention à l'antenne de ce tableau intervient à 10 h 53, et il est bien décrit comme un "calendrier". C'est la présentatrice des Éclaireurs, Fanny Wegscheider, qui explique que le porte-parole de l'armée "montre également cette image d'un calendrier, baptisé «bataille du déluge d'al-Aqsa», le nom donné à l'assaut du Hamas sur Israël le 7 octobre, avec les jours barrés depuis cette date, le 7 octobre". Une interprétation incorrecte des propos de Daniel Hagari dans sa vidéo - puisque lui parle de noms de terroristes - et qui ne remet pas en doute la version israélienne selon laquelle le Hamas a caché des otages à cet endroit. Mais une description cependant juste du document, que la chaîne ne décrit jamais comme une liste de noms.

Dans l'après-midi du 14 novembre, la chaîne semble avoir fait le choix de ne plus diffuser les images de l'armée israélienne, optant à la place pour le reportage de CNN sur place, traduit en voix off puis commenté en plateau. Les séquences tirées de CNN ne montrent pas ce calendrier. À noter que le site de CNN a lui aussi choisi de supprimer de sa page web certaines séquences tournées sur place en présence de Daniel Hagari, dont celle où le porte-parole montre à la caméra le fameux calendrier, sans prévenir son lectorat.

Sur LCI, remise en question progressive des images

Sur LCI, après avoir accueilli les "images édifiantes" dans la matinale (rediffusées plusieurs fois dans la journée), la chaîne d'info en continu, qui s'est spécialisée dans la couverture de terrains de guerre, se fait plus prudente dans l'après-midi du 14 novembre. À 15 h 11, dans L'info en grand, la journaliste qui présente les extraits de la vidéo de Hagari précise : "Évidemment, impossible de savoir si tout cela est vrai : il s'agit avant tout d'une opération de communication de Tsahal pour justifier ses tirs contre des hôpitaux gazaouis, dit-elle. Mais selon des experts, tout cela semble particulièrement crédible, puisque ça ressemble aux méthodes utilisées par le Hamas pour capturer des otages." C'est ensuite la présentatrice Bénédicte Le Châtelier qui va plusieurs fois faire montre de prudence, en faisant remarquer que "lorsqu'on part dans la précipitation, on pourrait se dire qu'on arrache ne serait-ce que ça [le calendrier]", puis en demandant : "Est-ce que ça pourrait être monté par Tsahal ? Cela paraît assez peu probable, mais pourquoi pas ?"

Surtout, c'est l'invité en plateau, le grand reporter et spécialiste de la région Gallagher Fenwick, qui met les pieds dans le plat : "Je ne suis pas du tout convaincu. Il n'y a rien de totalement convaincant sans l'ombre d'un doute. Vous savez ce qui est écrit sur cette liste ?" "Non", lui répond Bénédicte Le Châtelier : "Lui nous dit que ce sont les noms des terroristes. Eh bien, ce sont les noms de la semaine. Donc à moins que les terroristes se fassent appeler Lundi, Mardi, Mercredi…" Il réfute également l'argument selon lequel la liste présenterait "l'emploi du temps" des geôliers, puisque ce n'est pas ce qu'affirmait Daniel Hagari dans sa vidéo : "Lui dit : «Chaque terroriste a signé cette liste»."

Il en déduit que ces images sont "clairement une tentative de démontrer quelque chose", mais qui, "à [s]on sens, n'est pas probante". Cette analyse fait douter Bénédicte Le Châtelier, qui répond : "Oui, oui, pourquoi pas, c'est d'ailleurs la question que je posais tout à l'heure : est-ce que cela pourrait être une mise en scène ?" La présentatrice conclut alors qu'"on voit bien que c’est de la communication" et rappelle que dès le début de la guerre, la question s'est posée à la rédaction de LCI : "Quand Tsahal a attaqué, on s'est dit : «Ce sera une guerre sans images, et les seules images qu'on aura, ce sera celles de Tsahal d'un côté, du Hamas de l’autre, et il va falloir faire très attention»." Une remise en question en direct salutaire, que l'on a pu voir seulement sur LCI ce 14 novembre.


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