Harvey, Melania, Naomi
Le matinaute
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chronique

Harvey, Melania, Naomi

Il faut imaginer des chercheurs du prochain siècle. Ou au moins des chercheurs des zones rescapées de la catastrophe.

Il faut imaginer qu'ils se penchent sur les récits et les analyses en temps réel des mini-catastrophes annonciatrices, au début du XXIe siècle. Par exemple la tempête Harvey, au Texas, à la fin de l'été 2017. Il faut souhaiter qu'ils aient foi en leur métier. Il faut souhaiter qu'ils s'accrochent. Car ce qu'ils découvriront, ce n'est pas seulement l'image d'un ancien promoteur, devenu président américain, haranguant un groupe de résidents des zones sinistrées, en les félicitant d'être venus le voir, lui, si nombreux. Ils ne découvriront pas seulement un ancien mannequin, devenue première dame, allant visiter les inondations en talons aiguille et lunettes Top Gun. Ils ne découvriront pas seulement cette image de cinéaste, qu'aucun cinéaste n'aurait osé filmer.

Mais tout autour, ils découvriront aussi comment toute la conversation mondiale porta à cet instant sur ces points-là, et sur eux seuls. La conversation de ce que l'on appelait, en ce début du XXIe siècle, les anciens medias, et notamment les chaînes d'info continue (mais pas seulement elles) se focalisait sur cette question, ou sur d'autres aussi futiles : Donald Trump, le président-promoteur en question, qui ne croyait pas à la réalité du changement climatique, "s'en sortirait-il mieux" que son prédecesseur Bush, lors d'une précédente tempête ? Ferait-il plus éloquemment étalage de sa sensibilité à la détresse des sinistrés ? Mais aussi la conversation de ce que l'on appelait encore à l'époque les "nouveaux medias", ces réseaux sociaux où de simples citoyens, crédités de leurs attaches avec le monde réel, pouvaient contrebalancer la futilité des présentateurs surpayés en leur stratosphère. Talons, talons, talons. Leur marque. Leur prix. Pour ou contre les talons ? Rigolons donc deux minutes sur les talons de la @flotus (first lady of the united states). Car il faut le reconnaître, à l'époque, on rigolait bien.

Bien sûr, quelques voix isolées reliaient entre eux les éléments de l'histoire. Par exemple, une écrivaine-réalisatrice-militante canadienne, Naomi Klein, rappelait que Harvey ne surgissait pas "out of the blue" (ne sortait pas de nulle part). Elle rappelait que chaque centimètre d'élévation du niveau des océans porterait désormais ce type de tempêtes en des zones jusqu'alors épargnées. Elle rappelait que chaque degré de réchauffement des eaux renforcerait la violence des tempêtes comme Harvey. Elle prédisait que les événements climatiques "sans précédent" allaient désormais se multiplier. Que les simples mots "sans précédent", ou "imprévisible", n'avaient plus aucun sens. Bien entendu, que l'imprévisible était désormais programmé. Forte de sa notoriété, elle alignait ainsi les éléments factuels, vérifiables, incontestables, et terrifiants. Elle énonçait simplement que tous les présentateurs qui omettaient ces éléments faisaient un choix politique : le choix de les omettre.

Chacun, doté d'une connexion Internet, pouvait avoir accès à ce qu'elle disait. Tous les journalistes, en leur stratosphère, tous les citoyens, tous les internautes, toute la cohorte des talons-talons-talons, tous pouvaient lire ce texte, et d'autres. Dans les sociétés occidentales, la liberté d'expression était la règle. Personne n'avait le pouvoir, ni même la volonté, de faire taire Naomi Klein. On savait. Mais alors ? Alors ? Alors ?

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