Barthès, ou la gauche Bouygues
Animatrice d'une émission sur les medias sur France Inter, Sonia Devillers avoue (sur France Inter) avoir raté, la veille, son interview de Yann Barthès, lequel aurait mal pris la question de savoir si Le Petit Journal était une émission "de gauche". "Il s'est raidi, me disant qu'on lui en avait déjà fait 'le reproche'", raconte Devillers. "Mais, faire une émission de gauche, Yann Barthès, ce n'était pas un reproche !" tient-elle à préciser, apparemment terrifiée à l'idée qu'on pourrait lui reprocher d'avoir reproché à Barthès de faire une émission "de gauche." Et revenant sur les récentes sorties de Sarkozy contre les "bien-pensants" (sorties moquées par Barthès dans son émission de rentrée), elle poursuit : "Face à la montée d'un camp réactionnaire et à la banalisation d'un discours hyper droitier, on peut être fier de bien penser. Face au déchaînement néo-libéral de certaines chaines d'info, face à la dérive de certains talk-shows qui piétinent les livres et la culture sous prétexte qu'ils seraient l'apanage de l'élite, on peut être fier de faire de la bonne télé. De la télé qui fait rire et réfléchir."
Mettons-les d'accord : oui, Barthès a le droit de faire une émission "de gauche", et Devillers a le droit de remarquer que Le Petit journal était une émission "de gauche". "De gauche" elle était, "de gauche" elle restera : sa résurrection sur le groupe TF1, invitant pour sa première Christiane Taubira, affiche la couleur : ce sera encore une émission "de gauche". Oui, sur le groupe TF1. Sur le groupe de Jean-Pierre Pernaut. Il va falloir s'habituer. D'ailleurs, Barthès a largement usé de son droit à l'impertinence, en taclant généreusement son ancien patron, Vincent Bolloré.
Encore faut-il s'entendre sur l'appellation "gauche". Parler aujourd'hui de "gauche", c'est évoquer (au moins) deux concepts assez différents. Une gauche sociétale, dont l'icône s'appelle Taubira. Et la gauche sociale, celle qui se bat contre l'austérité et les suppressions d'emplois. Par coïncidence, l'émission de rentrée de Barthès était diffusée exactement le jour où dominait l'actualité le projet de fermeture de l'usine Alstom de Belfort. Qui est le principal actionnaire d'Alstom ? Le groupe Bouygues, nouvel employeur de Barthès, dont il est permis de penser qu'il porte au moins une part de responsabilité dans la situation de l'entreprise. En consacrant tout (ou partie, ne soyons pas maximalistes) de sa première émission à Alstom, en envoyant ses snipers, comme ils savent si bien le faire, frapper à la porte du bureau de Martin Bouygues pour lui extorquer une réaction, Barthès tenait une occasion en or de démontrer son indépendance "de gauche" par rapport à son nouvel employeur. Occasion manquée. Coucou Yann, tu as changé de crèmerie ! Ce n'est plus face à Bolloré, qu'il faut prouver qu'on est "de gauche".
Cet article est libre d’accès
En vous abonnant, vous contribuez
à une information sur les médias
indépendante et sans pub.
Déjà abonné.e ? Connectez-vousConnectez-vous