Mourir ensemble
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Mourir ensemble

Faute d'arriver toujours à vivre ensemble, arrivera-t-on un jour à mourir ensemble ?

Rares sont les débats qui donnent autant l'impression de jouer avec les mots, que le débat parlementaire actuel sur l'euthanasie, pardon, sur la "fin de vie". On dirait que tous les participants se sentent obligés de chuchoter, comme au chevet d'un mourant. L'Assemblée, raconte ainsi Libé, a repoussé hier un amendement à l'actuel projet de loi, amendement autorisant "une aide médicale à mourir". Motif du rejet : les Français ne seraient pas prêts, il ne faut pas les inquiéter.

A la place de cette "aide à mourir", les rapporteurs, Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (UMP) s'en tiennent à leur expression : autoriser une "sédation profonde et continue". De quoi s'agit-il exactement ? Interrogé par L'Express voici quelques mois, Claeys la définissait ainsi : donner au mourant "de puissants antidouleur, tout en arrêtant en parallèle tous les traitements de survie, y compris la nutrition et l'hydratation artificielle". Quiconque a déjà accompagné des mourants, sait que cela se pratique déjà, à l'hôpital, ou à domicile. Exactement de cette manière là. Avec l'objectif clair d'amener le patient en phase terminale à une mort rapide et paisible. Objectif clair dans la tête des médecins et des proches du mourant, même si jamais entre eux les mots ne sont prononcés. On ne prononce pas les mots, mais on les lit dans le regard de l'autre. On ne sait pas si c'est bien ou mal. On ne sait pas s'il serait préférable que les mots soient prononcés. C'est ainsi. On se comprend.

La différence, c'est que la loi va autoriser cette pratique. Et la loi, elle, va poser des mots. Bien obligée. Et ces mots sont les suivants, donc : "sédation profonde et continue". La différence avec le droit à mourir ? Aucune : "la sédation profonde est une aide à mourir", répond Claeys, noir sur blanc, dans la même interview à L'Express. C'est donc une aide à mourir, mais on ne peut pas le dire ainsi. Du moins, pas dans l'hémicycle. Dans une interview à L'Express, oui. Mais pas dans l'hémicycle. L'interviewé Claeys s'autorise à dire ce que s'interdit le législateur Claeys.

Dans cette même interview, L'Express semble s'étonner de ces prudences alors même, assure l'intervieweuse Céline Casciano, que "96% des Français sont favorables à l'euthanasie". Comme elle y va, Céline Casciano. Le sondage en question, auquel elle renvoie, et qui a été commandé par l'ADMD (association pour le droit de mourir dans la dignité) n'est pas si clair. D'abord, le mot "euthanasie" n'y figure pas. Il est simplement question de "mettre fin, sans souffrance, à la vie de personnes atteintes de maladies insupportables et incurables, si elles le demandent". Ensuite, les fameux 96% sont la somme des "oui absolument" (54%) et des "oui dans certains cas" (42%), ce qui n'est pas exactement la même chose. Mais tout de même, la réponse est assez nette.

Pourquoi les députés sont-ils donc si prudents ? La réponse est connue. Elle s'étalait, voici quelques jours, à la Une du Monde, dans un texte signé par cinq dignitaires assurant représenter la plupart des religions pratiquées en France (sur la représentativité réelle de ces organisations, voir l'une de nos dernières émissions), et fortement titré "l'interdit de tuer doit être préservé". Sans doute les non-croyants sont-ils aujourd'hui majoritaires en France. Mais voilà. Ces organisations existent. Il faut les ménager. Et donc, légiférer à mots couverts. Est-ce un mal ? Est-ce un bien ? Si cela permet de parvenir à peu près à mourir ensemble...

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