Le Pen, Mélenchon, et le "press bashing"
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Le Pen, Mélenchon, et le "press bashing"

Il y en a un qui ne se sent plus, c'est le nommé Martel, Philippe, chef de cabinet de Marine Le Pen.

Interrogé par une journaliste du Point, Anna Cabana, sur ses rapports avec la presse, il s'est lâché : "On va vous marcher dessus, on va vous rentrer dans le lard, il faut vous écraser". Vous ? "Tous ces connards de journalistes institutionnels".  Et  Martel s'est montré plus précis : "De toute façon, les Français vous détestent. Notre plan média, c'est de vous attaquer à mort. La presse nous est défavorable, pourquoi continuer à collaborer avec elle ? Il faut dire les études que vous faites, les appartements que vous habitez". Martel a ensuite démenti. Partiellement : oui, les journalistes sont bien des connards insitutionnels, mais non, on ne fait pas de fiches.

S'il n'en fait pas, d'autres, qui ne sont pas très loin, se chargent du travail depuis quelques mois, comme nous le racontons ici. La question reste donc entière. Ficher les journalistes, être en mesure de révéler où ils habitent, où ils ont fait leurs études, quels furent leurs engagements politiques passés : oui, ces armes-là font désormais partie de la stratégie lepéniste. Nul doute que la corporation va hurler. Et ici aussi, sur ce site, on serait tout prêts à condamner cette agression contre la liberté de la presse. Oui mais voilà. Cette condamnation vertueuse, à peine l'aurait-on proférée, que quelques lepénistes embusqués, ici et ailleurs, se déchaineraient : alors ainsi, vous applaudissez Mélenchon, quand il se paie les médiacrates, et condamnez Le Pen quand elle rappelle que Appoline de Malherbe, qui anime sur BFM une émission politique (à laquelle, d'ailleurs, collabore Anna Cabana), a étudié à Sciences Po, temple de l'élite ? Deux poids deux mesures ? Si on l'interdit aux lepénistes, au nom de quoi le tolérer chez Mélenchon ?

Bonne question. Et merci de l'avoir posée, comme disent les politiques qui cherchent à gagner du temps. Bonne question, que je tourne et retourne dans ma tête, sans trouver, disons-le d'emblée, de réponse totalement satisfaisante. Au nom de quoi critiquer la presse, comme c'est ici notre raison d'être, ses présupposés, ses tropismes, ses manipulations, et s'interdire d'inclure dans cette critique des considérations sur la sociologie des journalistes ? Oui, le milieu social, le sexe, le niveau de revenu, l'âge des journalistes, mais aussi, allons-y, leur situation familiale, leurs préférences sexuelles, conditionnent leur regard sur le monde. Sans doute pas autant que la structure de l'actionnariat de leurs medias, ou leur modèle économique, mais au moins pour une part. Où s'arrête exactement l'investigation légitime sur les investigateurs ? Où commence l'attentat contre la liberté de la presse ?

Questions vertigineuses, dont quelque chose me dit qu'on n'a pas fini de se les poser. Remarquons d'abord que Mélenchon et Le Pen ne pratiquent pas le "press bashing" de la même manière. A quelques exceptions près (le spécialiste de l'Amérique latine au Monde, Paranagua, dont il rappelle régulièrement les origines gauchistes, ou le dessinateur Plantu, dont il rappelle tout aussi régulièrement qu'il a reçu un prix du Qatar), Mélenchon ne s'en prend pas aux personnes des journalistes, à leur biographie. Il s'en prend à leur fonction, et à leur production. Pas toujours de manière très fine, et sans toujours distinguer la critique (légitime) de l'injure (stupide) ou de la menace (odieuse) : appeler ses militants à repérer les journalistes du Monde dans les meetings, à les entourer, à les filmer, c'est légitimer par avance toute agression physique possible. Et pour réveiller chez moi la solidarité corporatiste, qui n'est pas ma caractéristique première, il faut qu'il y soit allé fort.

Telle est en tout cas, ici, à @si, notre limite. Oui à la critique, inlassable, toujours renouvelée, au risque d'être répétitive. Non à l'insulte ou à la condamnation d'avance. Et les fiches, donc ? Et les menaces lepénistes d'outings ? Comme pour le reste de l'activité lepéniste : pas d'autre barrière, pour le meilleur et le pire, que la loi. Exhumer les écrits passés d'un journaliste, lui opposer ses origines sociales, ou toute autre caractéristique biographique publique, n'est pas un délit pénal. Et peut même, accessoirement, comporter quelques avantages. Ce que dit l'offensive lepéniste, si elle se confirme, c'est que la fiction du surplomb est, pour la presse, terminée. Cette offensive précipite la presse dans la bagarre. Attaquée sur ses études à Sciences Po, Malherbe n'avait en fait d'autre solution que de riposter à l'héritière sur ses propres maquillages biographiques, sa jeunesse dorée, la belle maison de Montretout. Ca ne vous fait pas rire ? Moi non plus. Mais on se console comme on peut.

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