17 octobre 61, la mécanique du silence
Le matinaute
Le matinaute
chronique

17 octobre 61, la mécanique du silence

Excellente initiative de Patrick Cohen

, qui exhumait ce matin sur France Inter quelques extraits du journal radio du 18 octobre 1961 au matin. Le 18, c'est à dire au lendemain de la sanglante répression d'une manifestation du FLN, qui fit plusieurs dizaines de morts en plein Paris, dans l'indifférence générale. Et alors ? Alors rien. Paris était calme. Quelques Algériens étaient envoyés fissa en Algérie, sans bagages, et le reporter à Orly le racontait tranquillement, terminant néanmoins son reportage par la mention "d'une larme" sur la joue d'un des exilés. Quant au palais des sports de Paris, où des manifestants algériens avaient été internés, les autorités tenaient à rassurer le public: il serait libéré dans les plus brefs délais, pour que puisse s'y produire, comme prévu, "le musicien noir Ray Charles".

Depuis une quinzaine d'années, le 17 octobre 1961 est le symbole de l'occultation d'un crime d'Etat. Pour un journaliste normalement constitué, l'occultation de faits établis est toujours un phénomène mystérieux. Quelle force supérieure cadenasse donc les bouches ? Quelques minutes plus tard, France Inter diffusait la réaction du copéïste Christian Jacob à la reconnaissance par Hollande de "la sanglante répression" du 17 octobre 1961. Scandalisé, Jacob: à ce rythme, ne va-t-on pas bientôt mettre en cause de Gaulle lui-même ? A quelques minutes d'intervalle, les deux documents sonores se répondaient. A l'aveuglement de l'époque d'une radio sous censure, répondait en écho, plus d'un demi-siècle plus tard, la voix de l'occultation d'aujourd'hui. Pas touche à de Gaulle ! Pas touche à nos mythes fondateurs. Plus que jamais, la France apparaissait comme ce petit Etat semi-autoritaire d'Europe occidentale à quoi elle doit ressembler, vue de l'extérieur. Sarkozistan un jour, Sarkozistan toujours.

51 ans ! De Gaulle est mort, Papon est mort, et la droite française n'est toujours pas mûre pour regarder en face l'histoire de la guerre d'Algérie. Pourtant, les recherches historiques n'ont jamais cessé, et la note Wikipedia en donne un bon aperçu. Comme toujours, d'ailleurs, il apparait que la vérité n'est pas manichéenne. Pour comprendre le déchaînement policier du 17 octobre, il faut aussi se souvenir des attentats perpétrés par le FLN, les jours précédents, contre de nombreux policiers en uniforme et en civil. Quant aux mécanismes de l'occultation, aux obstacles à la lucidité mémorielle, ils sont aussi plus complexes qu'on ne pourrait l'imaginer. Wikipedia exhume opportunément l'éditorial du Monde du 19 octobre, qui imputait au seul FLN la responsabilité du massacre. Croit-on que ce journal, ainsi prisonnier d'une vision immédiate tronquée, pourra facilement être, par la suite, l'agent actif de la révision ? Ainsi encore, l'un des plus actifs historiens de l'événement, Jean-Luc Einaudi explique le silence ultérieur, du côté algérien: il s'agissait, pour le jeune Etat, de minimiser l'action des Algériens de France, pour mieux glorifier celle des combattants d'Algérie. Faire la lumière, la faire toute, prendra encore du temps.

Partager cet article Commenter

 

Cet article est libre d’accès
En vous abonnant, vous contribuez
à une information sur les médias
indépendante et sans pub.

Déjà abonné.e ?

Voir aussi

Ne pas manquer

DÉCOUVRIR NOS FORMULES D'ABONNEMENT SANS ENGAGEMENT

(Conditions générales d'utilisation et de vente)
Pourquoi s'abonner ?
  • Accès illimité à tous nos articles, chroniques et émissions
  • Téléchargement des émissions en MP3 ou MP4
  • Partage d'un contenu à ses proches gratuitement chaque semaine
  • Vote pour choisir les contenus en accès gratuit chaque jeudi
  • Sans engagement
Devenir
Asinaute

5 € / mois
ou 50 € / an

Je m'abonne
Asinaute
Généreux

10 € / mois
ou 100 € / an

Je m'abonne
Asinaute
en galère

2 € / mois
ou 22 € / an

Je m'abonne
Abonnement
« cadeau »


50 € / an

J'offre ASI

Professionnels et collectivités, retrouvez vos offres dédiées ici

Abonnez-vous

En vous abonnant, vous contribuez à une information sur les médias indépendante et sans pub.