Comment (ne) marche (pas) la presse
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chronique

Comment (ne) marche (pas) la presse

Passé le premier instant de stupeur, et le deuxième réflexe d'indignation

, devant la couverture de L'Express de cette semaine, reste un douloureux mystère: s'ils osent, c'est parce que ça marche. C'est parce que le sexisme le plus crasse est forcément vendeur. Il y aurait donc des acheteurs (voire des acheteuses) pour céder à l'impulsion et, davantage que pour une couverture sur le mal de dos ou les prix de l'immobilier, tendre la main vers un hebdo qui titre sur "ces femmes qui gâchent la vie" de Hollande ("ces femmes", désignant pêle-même Trierweiler, Duflot ou Merkel, ainsi réduites à leur sexe). Quant aux annonceurs, il faut croire que s'ils continuent de s'exhiber dans un magazine de beaufs en écharpe rouge, c'est que leur produit y trouve son compte.

"S'ils le font, c'est parce que ça marche": nous sommes en système libéral, n'est-ce pas ? Et ce système, qui suppose la rationalité du comportement des agents économiques, a au moins le mérite de laisser jouer la loi de l'offre et de la demande. Si le filon de la couverture politico-sexiste n'était pas rentable, n'est-ce pas, le directeur Barbier serait promptement dégagé par les propriétaires du magazine. Toute analyse des médias est sous-tendue par ce présupposé que le contenu des médias industriels est forcément déterminé, ou bien par la loi du marché, ou bien par la volonté des ses propriétaires d'imposer une orientation politique ou économique. Les deux peuvent converger, souvent, ou entrer parfois en conflit, mais pas d'autre motivation à l'horizon.

Et si ça marchait, en fait, autrement ? Et si les industriels, ou les groupes industriels, qui possèdent aujourd'hui les grands medias français, avaient précisément intérêt à ce que cela ne marche pas ? C'est la thèse, assez décoiffante, défendue par un petit livre qui paraît ces jours-ci, sous la plume d'un ex-journaliste nommé Jean Stern, et titré "Les patrons de la presse nationale, tous mauvais" (Ed. La Fabrique). Pourquoi donc les Dassault, les Arnault, les Pinault, sont-ils "mauvais" ? Pourquoi auraient-ils intérêt à laisser leurs journaux perdre de l'argent ? Pour une raison toute bête: parce qu'au prix d'une habile optimisation fiscale, en imputant ces pertes au niveau idoine des holdings, cela leur permet de réduire leurs impôts, assure l'auteur, Jean Stern, en se fondant sur les exemples de Dassault et Arnault.

Attention: je ne vous dis pas que je souscris à la thèse développée dans le livre. Elle n'est peut-être qu'une version nouvelle, et particulièrement sophistiquée, de la théorie du complot. Simplement cette thèse (que j'entends pour la première fois, je l'avoue) permettrait d'expliquer bien des phénomènes jusqu'ici inexpliqués, et notamment la mauvaise qualité persistante de cette presse, sa pusillanimité en enquêtes et en reportages, en dépit des moyens illimités de ses actionnaires. Vrai ? Faux ? Nul doute que les grands journaux vont lancer, dès aujourd'hui, leurs investigateurs sur cette vaste question.

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