On a l'air fins. On vient de se lancer à grands sons de trompe dans la production hebdomadaire d'un jité d'il y a dix ans, que vous appréciez hautement. Tout le monde est content, enthousiaste, on pressent la richesse de cet exercice qui consiste à exhumer au hasard les certitudes, les obsessions, les angoisses, d'il y a dix ans, pour mieux arriver à mettre à distance nos certitudes et nos obsessions d'aujourd'hui.

Là-dessus, on descend à la cave, où dorment nos cassettes. On recherche les cassettes correspondant à février 1999. Et vous savez quoi ? Il nous manque un lot de cassettes, et c'est précisément...celui de février 1999. Sur quatorze ans d'archives irréprochables, il faut précisément que le trou tombe sur février 1999. Quand on dit que les choses ont une âme, et que leur plus grand plaisir est d'embêter les gens !

Bref, comme il est hors de question d'interrompre l'expérience, jusqu'en mars (date prévue de la sortie du trou), le jité d'il y a dix ans sera...le jité d'il y a onze ans. Nous replongerons ensemble dans l'actualité de février 1998, au lieu de 1999. Ainsi s'explique que notre jité d'il y a dix ans s'ouvre cette semaine sur les lendemains de l'assassinat du préfet Erignac, alors que l'édition de la semaine dernière en célébrait le premier anniversaire. Désolé. Ce sont les aléas des machines à remonter le temps.

Nous souhaitons d'autant moins interrompre l'expérience, que ce petit jeu avec le passé nous semble très prometteur. On ne réfléchit pas assez à la maîtrise du temps, comme technique de la domination tout court. Parmi tous les instruments utilisés par Sarkozy, la première année, pour neutraliser le système médiatique, on a à juste titre analysé la proximité avec les grands patrons de presse, le rapport de copinage-intimidation avec les journalistes, la concentration de la presse entre des mains amies. Tous ces facteurs jouent, évidemment.

Mais il me semble qu'au nombre de ces moyens, on a sous-estimé la saturation par le pouvoir d'initiatives et d'images, et l'imposition unilatérale de l'agenda. Comment des journaux paupérisés, en crise, en réduction d'effectifs, parviendraient-ils à contre-enquêter sur les chiffres émis par le pouvoir, à en assurer le suivi, à éclairer les contrechamps comme ils le mériteraient, alors que chaque jour, un nouveau voyage, un nouveau discours, une nouvelle initiative, les accaparent ?

La vraie subversion, la vraie insolence, la vraie impertinence, n'est-ce pas l'archive ? L'archive pertinente, produite au bon moment.

S'extraire du temps obligé de l'actualité, à l'intérieur même d'un site d'actualité comme le nôtre, lui aussi soumis aux exigences de la réactivité et de la rapidité: c'est aussi le but de l'exercice.

Le jité d'il y a dix ans nous réjouit comme un pied de nez. Exhumer ce produit hautement périssable qu'est un journal télévisé, et exhiber, dix ans après, sa momie intacte, aussi hypnotisante qu'au premier jour, est un bon tour joué aux aveuglements du moment, aux certitudes péremptoires, à l'inconscience de l'éphémère, qui caractérisent les fabricants de ce produit-là.