Assemblée : la déontologue défendait un labo
Brève

Assemblée : la déontologue défendait un labo

Peut-on aider les députés à gérer les conflits d’intérêt tout en étant avocate d’affaires ? Ce mélange des genres opéré par Noëlle Lenoir – nommée déontologue à l’Assemblée nationale d’octobre 2012 à avril 2014 – a fait grincer quelques dents et notamment ici. Aujourd’hui, Le Figaro révèle que la déontologue alors en poste défendait également un laboratoire pharmaceutique qui contestait une décision ministérielle.

L’idée était louable : en 2011, l’Assemblée nationale – alors présidée par Bernard Accoyer (Les Républicains) – créait un poste de déontologue chargé d'examiner les éventuels conflits d'intérêts des députés. Octobre 2012 : Noëlle Lenoir est nommée à ce poste jusqu’en avril 2014. Elle cesse sa mission suite à la création de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Sa mission justement ? Un jour par semaine, dans un bureau au bout d’un couloir d’une annexe de l’Assemblée, elle était chargée, selon ses propos recueillis par Libération, d’"être à l'écoute des chatouillements de conscience des députés inquiets." Problème : Lenoir est aussi avocate d’affaires dans un cabinet parisien, Kramer Levin Naftalis & Frankel. Un mélange des genres épinglé ici-même. Et, à en croire l’interview de Libé, la déontologue n’était "pas sûre" de pouvoir concilier son poste à l'Assemblée, et son métier.

Cette incertitude s’éclaire aujourd’hui avec les révélations du Figaro. Dans les pages santé de son site, le quotidien assure que "l'avocate Noëlle Lenoir défendait en même temps un laboratoire pharmaceutique qui contestait une décision ministérielle". Selon les informations du Figaro, Lenoir défendait "les intérêts des laboratoires Genevrier en septembre 2013 quand elle exerçait la fonction de déontologue à l'Assemblée". Ce client, qu’elle défend encore actuellement, a saisi le tribunal administratif de Montreuil pour contester une décision la Haute Autorité de santé (HAS). Cette dernière avait imposé "le déremboursement de son produit, le Chondrosulf, un anti-arthrose qui rapportait alors la bagatelle de 40 millions d'euros par an."

Le rôle de Lenoir reste en travers la gorge d’un proche du dossier qui s’indigne dans Le Figaro : "est-ce normal de représenter, moyennant rémunération, un groupe privé contre les intérêts de l'État, alors que l'on a été l'un de ses représentants ? Est-il normal de le faire à un moment où l'on avait justement pour mission d'arbitrer les conflits d'intérêts des élus ?" Aujourd’hui, l’avocate semble moins incertaine : elle assure au Figaro "qu'elle ne voit pas en quoi la fonction de déontologue de l'Assemblée serait incompatible avec la défense d'une petite entreprise qu'on est en train de faire exploser".

Ce mélange des genres a failli se reproduire au printemps. En effet, comme nous le racontions ici, le président du Sénat Gérard Larcher avait proposé la candidature de Jean-Michel Lemoyne de Forges pour siéger à la HATVP. Ce candidat, juge à Monaco, a commencé sa carrière d’avocat dans les années 90. Comme le révélait Mediapart, son activité a laissé peu de traces mais des collaborations avec les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas totalement exclues. Son CV n’a pas convaincu les sénateurs qui ont finalement retoqué sa candidature.

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DROIT DE REPONSE RECU LE 26 NOVEMBRE 2015

Suite au Vite Dit ci-dessus, qui reprenait une information du Figaro du 3 novembre dernier, l’avocate d’affaires et ancienne déontologue de l’Assemblée nationale nous adresse un droit de réponse, dont nous extrayons les passages suivants.

"Noëlle Lenoir est profondément choquée par l'article de «arretsurimages.net» du 3 novembre 2015 intitulé «Assemblée : la déontologue défendait un labo », qui laisse entendre, ce qui est rigoureusement faux qu'elle aurait pu être en conflit d’intérêts du fait de sa profession d’avocat, pendant ses fonctions à l'Assemblée.

Noëlle Lenoir a consacré sa vie professionnelle aux questions d'éthique et de déontologie et cette suspicion est inacceptable pour elle. […] C'est pourquoi les propos de l'article du 2 novembre lui sont particulièrement amers.

En 2001, après 30 ans au service de l’Etat, issue d'une famille d'avocats, et forte de ses études de droit et de son diplôme de Sciences Po, elle décide de faire du droit sa nouvelle profession : elle part enseigner le droit à l’Université de Columbia à New York et intègre le barreau de Paris dès juin 2001.

Noëlle Lenoir est avocate depuis 15 ans, tout en ayant accepté de défendre les positions françaises sur diverses législations européennes en tant que Ministre des Affaires européennes de 2002 à mars 2004 dans le second gouvernement Raffarin.

Juriste de haute volée, reconnue de droite comme de gauche comme la spécialiste de l'éthique et de la transparence, louée par ses pairs comme avocate, Noëlle Lenoir a accepté d’être parallèlement à son métier d'avocat, déontologue de l'Assemblée en 2012.

C'est pourquoi votre article du 3 novembre qui parle de «mélange des genres» pourrait laisser croire qu'elle a été corrompue dans le cadre de ses fonctions de déontologue de l'Assemblée Nationale, qu'elle a exercées du 10 octobre 2012, élue à l'unanimité par le bureau de l'assemblée Nationale, jusqu'en avril 2014, est particulièrement blessant.

La fonction de Déontologue a été créée par décision du 6 avril 2011 du Président de l'Assemblée instituant cette fonction et dotant le Palais Bourbon d'un Code de déontologie, fonction dont Noëlle Lenoir a démissionné en avril 2014 à la suite de la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

La procédure qu'a engagée Noëlle Lenoir, avocate associée du Cabinet Kramer Levin Naftalis & Frankel, y dirigeant l’équipe d'avocats en charge du droit de la concurrence et du droit public des affaires, date de 2014 et est donc postérieure à la fin de ses fonctions de déontologue.

Votre article comporte encore d’autres inexactitudes et approximations :

Noëlle Lenoir tient à redire que, loin d’avoir touché des fonds illicites d’un quelconque lobby comme l’affirme sans aucune preuve le titre de l’article, elle a donné sans compter de sa personne pour assumer ses fonctions de déontologue avec rigueur et le souci exclusif de servir l’institution parlementaire.

Aussi, elle a demandé à Maître Olivier BARATELLI d’engager des poursuites judiciaires en diffamation contre toute personne qui viendrait à colporter de telles insinuations.

[…]

L'article aurait dû préciser qu'aucun texte ne rend incompatible la profession d’avocat avec la mission de déontologue - qui n'est pas un métier - pas plus que le métier d'avocat n'est incompatible avec le mandat de député.

Selon l'article. Noëlle Lenoir serait, en tant qu'avocate « en guerre avec l'Etat ». Elle ne comprend pas en quoi l'exercice du droit d'accès à des documents administratifs (droit fondamental reconnu depuis 1978) constituerait le déclenchement d'une guerre.

Le reproche fait à Noëlle Lenoir est ahurissant : « une ancienne déontologue a défendu un industriel pour remettre en question une décision prise par les pouvoirs publics », en l’espèce le refus de la Haute Autorité de Santé de communiquer des documents jugés communicables par la CADA en vertu de la loi.

Les jugements du Tribunal du 23 octobre 2015, qui suivent largement les avis de la CADA, sont apparemment vécus par l’administration comme un revers. Or, c’est une victoire de l’état de droit et une clarification, par des juges indépendants, des obligations légales de transparence imposées à la Haute Autorité de Santé.

[…]

Or c’est un succès pour la transparence qui ne justifiait pas cet acharnement extrême à nuire « ad feminem » à Noëlle Lenoir. Les entreprises plaignantes ont obtenu bon droit, et leur avocate est au banc des accusés. Est-ce le prix à payer pour obtenir justice ?


Outre le fait que Mme Nöelle Lenoir nous reproche des propos que nous n’avons pas tenus – la quasi totalité des phrases incriminées ont été formulées par nos confrères du Figaro, auteur de l’article que nous reprenions – l’avocate d’affaires et ancienne déontologue de l’Assemblée ne répond pas clairement à l’accusation portée par Le Figaro. A savoir : "Me Noëlle Lenoir défendait déjà les intérêts des laboratoires Genevrier en septembre 2013 quand elle exerçait la fonction de déontologue à l'Assemblée, poste qu'elle a occupé jusqu'à mi-avril 2014". Dans le droit de réponse, il est indiqué que "la procédure qu'a engagée Noëlle Lenoir […] date de 2014 et est donc postérieure à la fin de ses fonctions de déontologue". La procédure peut-être… mais quid du début de la collaboration entre le laboratoire et l’avocate ? On attend une réponse.  Anne-Sophie Jacques.

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