Rainbow Warrior : un ex-agent secret parle (Mediapart)
Brève

Rainbow Warrior : un ex-agent secret parle (Mediapart)

Un ancien agent secret parle. Trente ans après l’affaire du Rainbow Warrior – l’attentat perpétré par les services secrets français sur un bateau de Greenpeace en lutte contre les essais nucléaires français dans le Pacifique et qui causa la mort d’un photographe –, le colonel Jean-Luc Kister, à l’époque capitaine et nageur de combat de la troisième équipe qui posa les explosifs sur le bateau, revient sur cette opération clandestine auprès de la télévision néo-zélandaise et de Mediapart. Dans un entretien filmé, Kister se confie à Edwy Plenel, journaliste qui révéla dans Le Monde le rôle des services secrets français. Kister exprime ses regrets, présente ses excuses à la famille du photographe et ne cache pas une forme d’amertume à l’encontre des pouvoirs politiques.

Jean-Luc Kister espère que son récit sera "le final de cette histoire". Dans un entretien accordé à Mediapart – mais aussi à la télévision néo-zélandaise – l'ancien capitaine et nageur de combat de la troisième équipe chargée de poser les explosifs sur le Rainbow Warrior, bateau affrété par l’organisation écolo Greenpeace en lutte contre les essais nucléaires français prévue à Mururoa, atoll de la Polynésie française, revient trente ans après les faits sur cet attentat devenu en son temps affaire d’Etat.

Jean-Luc Kister

Un ancien agent-secret qui parle – ou plutôt un "membre du service action" de la DGSE comme il préfère le dire – ce n’est pas banal. L’homme est face à Edwy Plenel, patron de Mediapart et ancien journaliste du Monde qui, le 17 septembre 1985, dans un article rédigé avec Bertrand Le Gendre, révéla le rôle des services secrets français qui jusqu’alors niaient toute implication dans l’explosion du bateau qui causa la mort d’un photographe présent dans l’équipe de Greenpeace, Fernando Pereira. L’attentat avait eu lieu deux mois plus tôt, dans la soirée du 10 juillet 1985. Le bateau était à quai dans le port d’Auckland, au nord de la Nouvelle-Zélande. Pourquoi parler maintenant ? C’est l’ouvrage de Plenel, La Troisième Équipe publié en juin dernier, qui a poussé Kister à se confier… un peu malgré lui puisque le débat était relancé. Il espère ainsi clore définitivement l'épisode de ce fiasco des services secrets français.

"J’ai agi sur ordre. Et j’ai fait mon devoir"

Cet entretien est aussi l’occasion pour Kister de présenter ses excuses à la famille du photographe et de mettre à nu ses regrets : "ma conscience me dictait quand même de faire ces excuses, d’expliquer, de tenter d’expliquer parce que je comprends bien que, pour les victimes c’est très difficile de comprendre mes explications plus ou moins techniques. Mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’on n’est pas des tueurs de sang-froid". Pour lui, la mort du photographe – "la mort d’un innocent [qu’il] a sur la conscience" dit-il – est accidentelle. Pour preuve : les détails des conditions de son intervention. Deux charges explosives étaient prévues, l’une pour faire un trou dans la coque et l’autre, qui devait exploser quatre minutes plus tard, le temps pour l’équipe d’évacuer le bateau à quai, était censée faire couler le bateau. Malheureusement, le photographe a voulu récupérer son matériel. Il est mort noyé. "J’ai agi sur ordre. Et j’ai fait mon devoir, le devoir qui m’avait été imposé par les autorités politiques" estime Kister.

Des excuses et des regrets donc… mais aussi de l’amertume puisque son nom et celui de son binôme Jean Camas ont été révélés dans Le Monde en 1986 (avec juste l’initiale de son nom) puis en 1987 (avec une faute à son patronyme ainsi qu’au nom de Camas). Pourtant, comme l’écrit Plenel, "pour un agent des services secrets, l’obéissance aux ordres que peut lui donner le pouvoir exécutif de mener des actions illégales – ici, un acte de terrorisme d’État dans un pays ami et allié – repose sur un pacte de confiance : la garantie que son identité véritable ne sera pas dévoilée, quoi qu’il arrive, bref qu’il sera couvert comme s’il n’avait jamais existé". Selon Kister, non seulement ce pacte a été rompu mais il y voit "une haute trahison". Et il accuse à demi-mots l’ancien premier ministre de l’époque, Laurent Fabius.

Suite aux révélations du Monde, Fabius a en effet diligenté une enquête. Dans le rapport qui lui a été remis apparaissaient le nom de Kister et celui de son binôme car tous deux, contrairement aux dix autres militaires engagés dans l’opération clandestine, sont partis en Nouvelle-Zélande sous leur véritable identité (ils ont été exfiltrés en revanche sous un faux nom). Pour Kister, ça ne fait pas un pli : c’est au niveau du premier ministre que la fuite a eu lieu. Interrogé par @si, Plenel explique avoir une divergence avec lui sur ce point : "j’ai obtenu leurs noms via leur milieu professionnel, je sais donc que mes sources ne sont pas étatiques. Fabius n’y est pour rien. Kister reste convaincu que son nom a été livré à la presse pour faire diversion par rapport à la responsabilité politique". Une hypothèse que comprend Plenel : "Kister et les exécutants sont restés seuls face au poids de la culpabilité tandis que les politiques n’ont eu aucun compte à rendre. François Mitterrand n’a jamais été interrogé sur ce sujet."

Puisque son nom a été divulgué, Kister se dit autorisé aujourd’hui à parler tout en se gardant de faire des révélations puisque les éléments abordés dans l’entretien ont déjà été publiés soit dans la presse soit dans les innombrables livres écrits par les acteurs liés de loin ou de près à l’attentat. Une question demeure en suspens : Kister parle-t-il avec l’aval des services secrets actuels voire du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian ? L’homme est ambigu. S’il assure parler en son nom propre, il avoue également avoir "au moins prévenu un de ses «collègues» encore en service actif". Plenel n’en sait pas davantage et suppose que Kister n’a en effet demandé aucune autorisation. Le patron de Mediapart estime cela dit que le colonel – qui a quitté son unité en 2000 seulement – n’a pas reçu de "feu rouge ou orange" pour s’exprimer aujourd’hui. Sans être officiellement autorisé à parler, il n’a donc pas été empêché. Et on aurait tort de se priver de son témoignage implacable, avec une pointe d'émotion, qui se regarde comme un polar.

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