Outreau : des magistrats doutent toujours de l'innocence des acquittés (blog)
"Dix ans après, ils ne l'ont pas digéré et transmettent la rancœur de promotion en promotion de l’École de la magistrature". Selon le journaliste indépendant Thierry Lévêque, de nombreux magistrats, qu'il croise depuis dix ans, lui répètent régulièrement que les treize personnes innocentées dans le cadre de l'affaire de pédophilie d'Outreau seraient coupables. Les acquittements de la plupart des accusés aux procès de Saint-Omer (2004) et de Paris (2005) ? "Ce serait le résultat d'une pression, voire d'un complot conjugué du monde politique, de la presse et d'avocats dévoyés. Les figures obtuses aussi bien que les esprits les plus modérés et éclairés des palais de justice vous répètent à voix basse et d'un air entendu ce petit refrain", explique Lévêque.
Pour le journaliste spécialiste de la justice, c'est cette rumeur persistante qui serait à l'origine du troisième procès. L'un des acquittés, Daniel Legrand, comparaît une nouvelle fois pour les mêmes faits, parce qu'il était mineur au moment où une partie des faits sont censés avoir été commis.
Comment expliquer, malgré les deux procès, que la rumeur des "faux innocents" coure encore au sein de la magistrature ? "Cette affaire d'Outreau a été instrumentalisée par le pouvoir politique en 2005. La droite a voulu en profiter pour supprimer la fonction de juge d'instruction. Les syndicats de la magistrature ont donc toujours défendu le juge Burgaud, qui a instruit l'affaire", nous explique Lévèque. Je n'ai jamais entendu un seul magistrat reconnaître que Burgaud a mal fait son travail".
Et pourtant, sur son blog, Lévêque rappelle la liste des absurdités du dossier, qui auraient dû alerter le juge Burgaud et le parquet : des "récits décousus ou totalement incohérents" des enfants, une accusation de meurtre jamais démontrée, une ferme en Belgique (où aurait été commise une partie des faits) qui n'a jamais été retrouvée.
Ce qui n'empêche pas des "gens au plus haut niveau de la magistrature" d'affirmer, encore aujourd'hui, que les acquittés ne sont pas tout à fait innocents. "Ces magistrats ont un vrai ressentiment à l'égard du monde politique et des médias, ils ne connaissent pas le fond de l'affaire mais assurent que ce n'est pas parce qu'il y a des éléments délirants dans les accusations que tout est faux", affirme Lévêque.
En 2009, déjà, lors de l'audience disciplinaire du juge Burgaud, un conseiller à la Cour de Cassation, Didier Beauvais, avait cru bon de prendre la défense du juge en affirmant que des soirées pédophiles étaient "habituelles" dans le Pas-de-Calais. Des propos ensuite démentis par l'intéressé, mais maintenus par le journaliste de la Voix du Nord qui les avait rapportés.
L'occasion de revoir notre émission sur l'affaire Outreau avec l'un des avocats des acquittés, Eric Dupond-Moretti.
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