Il y a beaucoup de choses à retenir de cette longue enquête publié par Wired, et qui a déjà retenu l'attention de quelques médias en France. Une enquête qui commence par une scène surréaliste : quand le journaliste Andy Greenberg assiste en septembre 2014 à la discrète remise, à la frontière sino-coréenne, de centaines de clés USB contenant le dernier film de Luc Besson Lucy ou des saisons entières de séries sud-coréennes.

A l'origine de cette action, un homme de 46 ans, nommé Kang Chol-hwan, dont l'organisation North Korea Strategy Center permet d'injecter chaque année plus de 3 000 clés USB. Avec un but avoué pour celui qui a passé toute son adolescence dans un camp nord-coréen : renverser la dictature de Kim Jong-un grâce à des épisodes de la série Friends ou des scènes du film Titanic : "Ce que l'on fait, c'est ce dont Kim Jong-un a le plus peur. Pour chaque clef USB qui passe de l'autre côté de la frontière, c'est peut-être une centaine de nord-coréens qui commencent à se questionner sur la façon dont ils vivent", assure Kang à Wired. Pour lui, ce combat n'est qu'une question de temps et de... statistiques : "Pour le moment, peut-être 30% de la population nord-coréenne sait quelque chose du monde extérieur. Si vous atteignez 50%, c'est suffisant pour que les gens commencent à exiger des choses, pour que les choses commencent à changer".

Cet activiste d'un nouveau genre n'est pas inconnu en France : en 2004, avec l'aide du chercheur Pierre Rigoulot (de sensibilité anticommuniste) il a publié aux éditions Robert Laffont le premier témoignage en Occident sur les camps nord-coréens, intitulé Les Aquariums de Pyongyan (qui sera par la suite traduite en huit langues). Aux Etats-Unis non plus : Kang Chol-hwan a été reçu en 2005 à la Maison Blanche par Georges W.Bush. Kang a ensuite multiplié les aller/retour entre Seoul et Washington, où il donnait des conférences dans des églises ou sur des campus américains. Son organisation est d'ailleurs parrainée par le département d'Etat des Etats-Unis, chargé des affaires étrangères.

L'un des sacs de clés USB qui a réussi à traverser la frontière nord-coréenne

Informaticien, policier puis activiste

Quand au début des années 2000, ce marché noir a commencé à prospérer en Corée du Nord, Kim Jong-un avait pourtant créé une division militaire particulière pour traquer, porte à porte, les familles "déviantes". Kim Heung-kwang était l'un d'eux et son témoignage, recueilli par Wired, mérite aussi le détour. "J'avais le sentiment qu'ils regardaient des films capitalistes pourris et ruinaient la mentalité de notre pays", confesse aujourd'hui celui qui était informaticien avant de devenir policier. Pour punir les familles déviantes, Kim Heung-kwang avait mis au point une technique infaillible : couper l'électricité dans tout l'immeuble avant de toquer aux portes des habitants pour que les DVD se retrouvent coincés dans leurs lecteurs. Reconnus coupables d'avoir ri devant Friends ou pleuré devant Titanic, ils étaient ensuite condamnés, la plupart du temps, à des peines de prison pouvant aller de plusieurs mois à plusieurs années.

Des saisies qui ont permis à Kim Heung-kwang de se constituer un joli butin de films et de séries très populaires, que le policier a commencé à... regarder, puis à partager avec certains de ses amis, contre de la viande ou de l'alcool. Balancé en 2003 par l'un de ses collègues, le policier est arrêté, torturé une semaine puis condamné à un an de prison. Peu après sa libération, Kim s'enfuit en Corée du Sud (Séoul), où il crée la North Korea Intellectual Solidarity, un groupe de soutien aux opposants nord-coréens. La tentative de révolution par les clés USB est lancée.