Rom lynché : un habitant de son camp l'avait dénoncé (Libé)
"C’est une sale histoire. Un règlement de compte dégueulasse entre pauvres". Voilà comment une assistante maternelle de la cité des Poètes à Pierrefite-sur-Seine résume l'agression de Gheorghe Franzu C., alias Darius, un jeune Rom de 17 ans. Deux mois après l'agression, qui avait été condamnée par François Hollande et Manuel Valls et dont nous vous avons parlé à plusieurs reprises (ici et là), Libération revient sur l'enquête (article payant). Les agresseurs n'ont toujours pas été identifiés mais on en sait un peu plus sur ce qui s'est réellement passé ce vendredi 13 juin.
"Une douzaine de «jeunes âgés de 16-17 ans d’origine africaine» de la cité des Poètes ont déboulé le soir dans le camp de Roms, de l’autre côté de la Nationale 1, pour «chercher le petit au tee-shirt rouge qui venait d’essayer de cambrioler» l’appartement de Mohamed G., allée Boris-Vian", raconte Libération. Selon plusieurs témoins, Darius portait bien ce tee-shirt rouge ce soir-là, même s'il nie aujourd'hui avoir commis le moindre vol. A 20 h 20, les agresseurs entrent dans le bidonville pour le chercher. Darius ne s'y trouve pas. Il va finalement être dénoncé par un habitant de son campement : "Comme il était recherché de partout par les Blacks de la cité qui venaient foutre le bazar dans le campement, quelqu’un a appelé Darius dans sa cachette pour lui dire "tu peux revenir, c’est bon". C’est prouvé par la téléphonie. Comme le jeune Gheorghe est débile léger [il s’est échappé d’un centre psychiatrique en Roumanie pour rejoindre sa famille en France, ndlr], il l’a cru et est rentré au campement", explique un enquêteur de la PJ à Libé. La suite est sortie tout droit d'un mauvais film : "Livré par les siens, Darius a donc fini par être embarqué et tabassé par les jeunes de la cité qui ont même essayé de le monnayer… A 20 h 30 et 21 h 47, la mère de Darius reçoit deux appels provenant du téléphone de son fils, raconte Libé. Les ravisseurs demandent une rançon de 15 000 euros, puis une autre de 5 000 euros. A 22 h 27, elle prévient la police qu’un enlèvement a été commis", détaille Libé. Moins d'une heure plus tard, il est retrouvé par les policiers dans un chariot de supermarché le long de la Nationale 1, en sang et inconscient. |
Des interpellations pourraient avoir lieu dans les prochaines semaines. Mais les enquêteurs doutent de pouvoir aboutir à un résultat : "Incontestablement, Darius est victime d’une tentative d’homicide, mais il a également des choses à se reprocher. Les auteurs de cette vengeance privée ne vont rien avouer. Les Roms ne sont pas tout propres non plus. Lorsqu’on va présenter les suspects aux Roms pour les identifier, je ne crois malheureusement pas qu’ils vont nous aider. Des deux côtés, personne n’a intérêt à ce que cette affaire sorte", déclare une "source proche du dossier" à Libé.
Après avoir passé un mois dans le coma, Darius est toujours hospitalisé "mais il est très difficile d’évaluer ses séquelles car, pour l’instant, les médecins ne disposent pas d’un traducteur, explique son avocate, Julie Launois-Flacelière. Il parle, reconnaît les membres de son entourage et semble disposer de sa mémoire immédiate. Toutefois, il ne marche pas. Des complications neurologiques ont entraîné une calcification au niveau de l’un de ses genoux. Par ailleurs, sa mère dit qu’il semble étourdi en permanence". Et comme si tout cela ne suffisait pas, le jeune Rom va être confronté à des soucis administratifs : "La situation est catastrophique parce que Gheorghe va devenir majeur dans quelques jours. Tant qu’il était mineur, l’ambassade de Roumanie s’acquittait de l’intégralité des frais d’hospitalisation. Malgré les grands discours, la France n’a pas daigné verser un centime. Si une solution n’est pas trouvée d’ici au 25 août, Gheorghe pourrait se retrouver handicapé et à la rue. Sa famille est à nouveau en errance et ne possède absolument pas les ressources nécessaires pour acheter des anti-inflammatoires et assurer des séances de kinésithérapie", assure son avocate.
Quant au motif éventuellement raciste de l'agression, Me Launois-Flacelière indique qu'aucun élément de l'enquête ne vient le corroborer. On se console comme on peut.
L'occasion de lire la chronique de Daniel Schneidermann : "Roms : derrière le lynchage"
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