Comparons la parodie de 1944 réalisée par Rea S. Irvin (1881-1972), directeur artistique de l'hebdo new-yorkais, avec l'original, une broderie longue de soixante-dix mètres exécutée au XIe siècle narrant la conquête de l'Angleterre par Guillaume le Bâtard, duc de Normandie, qui mit ainsi une raclée au fourbe Harold, dernier roi anglo-saxon d'Angleterre.

Sur la couverture du New Yorker nous voyons dans un château le roi Georges, le Président Franklin Delano Roosevelt et Winston Churchill, premier ministre grand-breton. Plus loin se tiennent le général grand-breton Montgomery et l'Américain Dwight D. Eisenhower, étudiant une carte. Le texte en latin mentionne le roi GEORGE, MONTY (Montgomery) et IKE (Eisenhower), la frise inférieure nous montre un speaker de Radio-Londres et deux mains qui se serrent par-dessus les flots, celle de droite est sans aucun doute américaine, celle de gauche peut-être grand-bretonne :

Il s'agit là d'une citation du tout début de la Tapisserie où l'on peut voir le roi Edward discutant avec son beau-frère Harold, comte de Wessex. La scène se passe à Westminster. Au-dessus des personnages, un texte écrit en latin, EDWARD REX: VBI: HAROLD DVX: ANGLORUM :

La deuxième partie de la couverture du New Yorker illustre le débarquement sur les côtes normandes, l'attaque survenant à la fois par les airs et par la mer. Le texte latin dit MARE NAVIGAVIT: D-DAY. JUNE VI A.D. M.C.M.X.L.IV. La frise inférieure se pare de poissons, d'un mine sous-marine et d'un sous-marin, à moins qu'il s'agisse d'un porte-avions ou d'un destroyer :

La Tapisserie nous montre les troupes de Guillaume embarquant, traversant la Manche. Le texte en latin est similaire, NAVIGIO: MARE :

Le bandeau final du New Yorker raconte deux événements. Premièrement, l'entrée des troupes dans la ville de Bayeux le 7 juin. Avec des chars américains, une église en feu, un cadavre à gauche et un soldat allemand capturé par un G.I. La frise inférieure est garnie de mains levées, celles de prisonniers :

Cette scène peut être rapprochée de celle-ci issue de la Tapisserie, dans laquelle les troupes de Guillaume le Conquérant luttent contre celles du roi Harold II d'Angleterre. Avec la frise inférieure, garnie de cadavres :

La seconde partie de l'ultime bandeau du New Yorker montre Hitler caché sous un lit. Près de lui, Martin Bormann. À gauche, près d'une tour, se tient Heinrich Himmler. Au-dessous, le maréchal Rommel. Le texte latin dit SIC SEMPER TYRANNIS, Il en va ainsi des tyrans. Tout au bas de l'image, des rats prennent la fuite :

Le décor reproduit par Rea S. Irvin (dont la signature figure à droite du château) est identique à celui représenté dans cette partie de la Tapisserie de Bayeux où l'on peut voir Harold II intronisé roi d'Angleterre en janvier 1066 ; dans le ciel, à gauche, passe la comète de Haley qui fut visible en la perfide Albion à la fin du mois d'avril 1066 :

Et tout ça c'est bien joli, oui. La Tapisserie qui est une broderie, et la parodie new-yorkaise.

L'occasion de lire ma chronique intitulée Petit guide picturo-maritime à l'attention des investisseurs (et des blanchisseurs) et cette autre, intitulée 14-18 sur France2, entre spectacle et shrapnels, où il est notamment question d'un vaste panorama chronologique similaire à la Tapisserie de Bayeux dessiné par Joe Sacco racontant le premier jour de la bataille de la Somme le 1er juillet 1916.