La mort dans l'âme : réponse d'un idiot à Patrick Cohen
Brève

La mort dans l'âme : réponse d'un idiot à Patrick Cohen

Décidément, les temps sont chauds.

Après un site de traqueurs de sionistes, qui nous accuse d'être à la solde du sionisme international, voici que surgit de l'autre extrémité de la scène une accusation symétrique du matinalier de France Inter Patrick Cohen : je suis le chef d'orchestre des dieudonnistes. Leur "'idiot utile". Quand Dieudonné et Soral sont en panne d'inspiration pour leurs vidéos, hop, ils plongent dans @si, ou dans mes chroniques de Libé, et les voilà requinqués, repartis pour un tour.

Bref, voici un scoop. Vous êtes ici, sur ce site, dans un repaire assez unique en son genre : chez les dieudo-sionistes.

Il a fallu à Patrick Cohen, 324 jours pour trouver ça. Ca valait le coup. 324 jours pour se rendre compte que j'étais "un de leurs héros". Il faut croire qu'ils ont l'adoration discrète.

Je ne vais pas perdre de temps à me défendre. La production de ce site parle pour moi. Notre dossier Dieudonné est là. Nous l'avons créé très tard (le 29 décembre dernier, et la mort dans l'âme. Je m'en suis expliqué). Parcourez-le. Lisez notre enquête d'idiots utiles sur le pedigree judiciaire de Dieudonné ou sur le business de la quenelle. Regardez, sur le plateau, le cuisinage d'un jeune fan de Dieudonné, qui refuse obstinément de reconnaître l'antisémitisme de son idole. Regardez les chroniques au vitriol de Didier Porte. Pas seulement celle que Cohen a soigneusement sélectionnée. Mais aussi celle-ci, ou celle-ci. Si on voulait, comme il nous en accuse élégamment, draguer l'abonné dieudonniste, on aurait pu mieux s'y prendre. Mais j'oubliais : on est idiots.

Prudemment, d'ailleurs, vous vous gardez bien, Patrick Cohen, d'évoquer @si. Vous vous concentrez sur ma chronique du 17 mars 2013 dans Libé. Et donc, 324 jours plus tard, vous me reprochez, à l'égard de Dieudonné et Soral (tiens, où sont d'ailleurs passés Ramadan et Nabe, que vous citiez aussi à l'époque ? Toujours des "cerveaux malades" ?), des formulations euphémisantes. J'ai écrit que Soral était "un publiciste inclassable". OK, j'admets. Le "inclassable" sur Soral était absurde. Soral : affaire classée.

Mais je vais vous dire : ça ne change rien au fond. A la seule question qui compte : le procès que vous avez fait à Frédéric Taddeï d'inviter sur son plateau les affreux, les "cerveaux malades", comme vous dites, et qui est à l'origine de notre micro-polémique, était-il professionnellement justifié ?

A mes yeux, non.

Je crois que le rôle d'un journaliste, c'est de de tenter d'appréhender et de montrer toute la réalité. Même celle qui lui déplait. Même la réalité désespérante. Même la réalité nauséeuse. Non, elle n'est pas belle, la France des dieudo-soraliens. Mais la France d'aujourd'hui, ce ne sont pas seulement les puissants et les sachants. La France, ce ne sont pas seulement les ministres, les corps constitués, et les intellectuels labellisés, qui se succèdent bi-quotidiennement à votre micro, de matinale en access prime time, en un ballet immuable (j'apprends d'ailleurs que vous allez élargir le cercle, que vous allez inviter l'économiste anti-euro Jacques Sapir. Quelle audace ! Savez-vous que Moscovici vient de le taxer d'être d'extrême-droite ? Etes-vous bien certain qu'il n'est pas, lui aussi, un cerveau malade, un idiot utile de quelque chose ? N'est-ce pas un peu imprudent ? Réfléchissez bien.)

La France que nous devons regarder en face, c'est aussi ce jeune dieudonniste sur notre plateau, que l'on place devant l'odieuse sortie de Dieudonné vous envoyant aux chambres à gaz, et qui non, vraiment, ne voit pas le problème, c'est juste de l'humour, voyons. Cette France-là, il nous appartient, oui, de la regarder en face, de la sonder sans fin, de la révéler à elle-même et aux autres. Pour un reporter, ça veut dire : aller les voir. Pour un animateur d'émission : les inviter. La mort dans l'âme.

L'ironie de cette polémique, c'est que je n'ai jamais invité, moi non plus, ni Dieudonné, ni Soral, et les dieudonnistes de notre forum nous le reprochent assez, idiots qu'on est décidément. Ni à l'époque de France 5, ni depuis 2008 sur ce site. Non pas que je me l'interdise. A l'époque où arrêt sur images était encore sur France 5, je refusais, comme vous, d'être la porte d'entrée de ces discours-là dans le débat public. Je raisonnais en journaliste des anciens medias.

Aujourd'hui, on a changé de monde. Pour le meilleur et le pire. On est dans une Terra Incognita, dont je reconnais qu'elle peut sembler terrifiante. Où la moindre video de Dieudonné ou de Soral sur YouTube totalise dix fois, vingt fois plus de vues que les émissions d'@si. Où Dieudonné remplit les salles (avec l'aide remarquable de Manuel Valls et, je pense, la vôtre). Où les cerveaux malades ont sans doute, dans leur champ étroit, bien davantage d'influence que moi, et même que vous, du haut de vos estrades de la radio et de la télé publiques. Et il faudrait se boucher les yeux ? Rien regarder, rien écouter, rien tenter de comprendre ?

Et pourtant, à @si, nous ne les avons toujours pas invités. Pour plusieurs raisons. D'abord, tout simplement, parce que...leur champ reste un champ étroit. La polarisation périodique du débat public autour de leurs figures et de leurs thèmes : quel gaspillage d'énergie ! Comme si la question de l'antisémitisme ou de l'antisionisme étaient les questions centrales de la France aujourd'hui, davantage que l'évasion fiscale, la disparition de l'emploi industriel, le maintien ou non de l'euro, le réchauffement planétaire, la dissolution de la vie privée, la marchandisation des données, l'espionnage américain, la révolution numérique sous tous ses aspects, et je pourrais allonger la liste.

En outre, je l'avoue aussi, je ne saurais trop, sur un plateau, comment leur faire cracher leur vérité enfouie. Entre l'interview- interrogatoire et l'interview-accouchement, entre les écueils symétriques du trop agressif et du trop à l'écoute, je crains de ne pas trouver l'angle d'attaque, outre que j'ai passé l'âge de jouer à cache-cache. Mais je n'en suis pas fier. C'est une lacune. Mes compétences d'animateur trouvent ici leurs limites. Si d'autres animateurs de débats plus doués que moi s'en chargent, et y réussissent, je crie bravo. Voilà pourquoi il n'était pas correct de reprocher à Taddeï de le faire. Invitant les "cerveaux malades" (et pour peu évidemment qu'il leur porte la contradiction nécessaire, et pertinente, qu'il les accouche avec sagacité de leurs impasses et de leurs non-dits, comme on devrait le faire avec tous les invités), il fait le job. Ce job que ni vous ni moi ne faisons.

Voilà. Vous noterez que je viens de vous répondre, Patrick Cohen, comme si votre papier de L'Obs était, à mon égard, une critique acceptable. Je suis décidément un gentil garçon. Car acceptable, il ne l'est pas. Vous ne me reprochez pas seulement de vous avoir critiqué. Vous me reprochez de vous avoir critiqué en tant que Juif. "Le Juif Cohen", glissez-vous au détour d'une phrase. Et ça, cette manière de brandir son étoile jaune en bouclier, je vous le dis, c'est infâme. Qui vous a mis en cause "en tant que Juif", Patrick Cohen ? Trouverez-vous sous ma plume une ligne vous autorisant cette grotesque imputation larvée d'antisémitisme ? Et alors, pourquoi ne pas avoir porté plainte, comme France Inter l'a fait, à raison, contre Dieudonné ? Relisez-moi. Aucune autre critique que professionnelle. De journaliste à journaliste. "Que savez-vous de moi ?" demandez-vous. Rien. Rien d'autre que ce que vous montrez, dites et écrivez dans l'espace public, C'est mon seul matériau. Que des obsessionnels s'en emparent ensuite, je le constate comme vous, la mort dans l'âme encore une fois, mais c'est la règle, on la connait, et celà ne doit nous conduire, journalistes, à aucune autocensure, ni aucun aveuglement.

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