à Cavanna
Brève

à Cavanna

Bon. Fais pas de phrases. Pas d'adjectifs. Pas d'adverbes. Pas de gras.

Surtout pas de gras. Elague. Fais pas le malin. Pas d'étalage de culture, pas de références, pas de pathos. Laisse-toi aller. Essaie de dire simplement ce que tu lui dois. C'est maintenant ou jamais. Pas de honte. Dis-le simplement : c'est en le lisant, que tu as voulu écrire. Lui, parmi une poignée d'autres. Toi tout petit, qui osais à peine demander Charlie et Hara-Kiri à la marchande de journaux. Lui ce géant gaulois, là-haut, ce Clovis, ce Vercingétorix, inaccessible, au Panthéon déjà, avec sa moustache, sa crinière, son épopée de Rital, sa légende de chef de la bande des prodigieux arsouilles.

Dis-le simplement, que tu as toujours rêvé d'écrire comme lui. Juste comme lui. On t'aurait proposé, tu aurais signé tout de suite. Rien d'original. Ecrire dans un journal, ou aujourd'hui sur un site, sur un blog, n'importe où, avoir rendez-vous chaque jour, chaque semaine, avec la page blanche, être tenaillé par l'obsession de serrer la sincérité au plus près, de tenir à distance la triche, les trucs, l'artifice, les facilités, les esquives, les échappatoires, savoir qu'on n'a pas d'autre solution que d'aller directement dans le dur, là où ça touche dans le mille de la crédulité et de la connerie, où ça fait mal, où tu sais que ça va saigner, ne laisse pas d'autre solution. Si tu l'as croisée un jour, cette écriture-là, torrentielle, à l'os, impitoyable avec ses propres tentations, tu resteras à jamais happé par l'attraction. Tu la garderas toujours dans ton champ de vision, la planète moustache. Comme un regret. Comme une occasion manquée. Un refus de l'obstacle, au dernier moment.

Parce que évidemment, tu n'as jamais écrit, tu n'écris pas dans sa langue à lui. Tu as choisi une autre voie, une autre voix. Ou plutôt, d'autres voix t'ont choisi, c'est ainsi que ça se passe. Tu n'as jamais écrit dans Charlie, ni dans Hara-Kiri. Tu as écrit dans d'autres journaux, qui t'ont modelé à leur manière, qui t'ont fourré dans d'autres habits, des sortes d'habits du dimanche si on veut, mais à côté de lui, n'importe qui paraitrait endimanché. Elle était là, sa force : une écriture, une voix, à faire paraître endimanché n'importe qui à côté, endimanché et raide, et surtout, prenant des postures. Des postures de rebelle ou de premier de la classe, ou les deux à la fois, peu importe, mais à côté de cette écriture, fille des ruines et du désespoir, tout semblait posture. Pas facile, de payer cette dette bien enfouie, bien secrète. Comme toujours dans les grandes occasions, les mots manquent. Mais on s'en fout des autres. C'est entre toi et toi. Toi seul le sais, ce que tu dois à Cavanna.

Partager cet article Commenter

 

Cet article est libre d’accès
En vous abonnant, vous contribuez
à une information sur les médias
indépendante et sans pub.

Déjà abonné.e ?

Voir aussi

Ne pas manquer

DÉCOUVRIR NOS FORMULES D'ABONNEMENT SANS ENGAGEMENT

(Conditions générales d'utilisation et de vente)
Pourquoi s'abonner ?
  • Accès illimité à tous nos articles, chroniques et émissions
  • Téléchargement des émissions en MP3 ou MP4
  • Partage d'un contenu à ses proches gratuitement chaque semaine
  • Vote pour choisir les contenus en accès gratuit chaque jeudi
  • Sans engagement
Devenir
Asinaute

5 € / mois
ou 50 € / an

Je m'abonne
Asinaute
Généreux

10 € / mois
ou 100 € / an

Je m'abonne
Asinaute
en galère

2 € / mois
ou 22 € / an

Je m'abonne
Abonnement
« cadeau »


50 € / an

J'offre ASI

Professionnels et collectivités, retrouvez vos offres dédiées ici

Abonnez-vous

En vous abonnant, vous contribuez à une information sur les médias indépendante et sans pub.