Calvin et Hobbes : entretien avec son papa
Brève

Calvin et Hobbes : entretien avec son papa

Tout le monde connaît Calvin et Hobbes, la bédé humoristico-philosophique qui parut aux USA de 1985 à 1995 (et plus tard en France). L'auteur, Bill Watterson, vit tranquillement dans son Ohio natal. Il n'accorde aucune entrevue, ne se rend à aucun coquetèle éditorial, pratique la peinture de chevalet sans rien exposer, Calvin et Hobbes sont loin derrière lui.

— Des requins des neiges ?
— Ce type est foutu.


Sauf que le magazine mental_floss (dont le titre est un jeu de mots sur dental floss, le fil dentaire) publiera dans son numéro de décembre un entretien avec le légendaire papa de Calvin et Hobbes. Le site de ce magazine en publie des extraits dont voici des extraits (!), dans lesquels Bill Watterson s'exprime sur l'arrêt de Calvin et Hobbes et donne son sentiment quant à l'avenir de la bédé.

— Encore de l'art neigeux ?
— Ouais.

— Ta sculpture d'hier a fondu.
— Cette fois je profite de l'impermanence de mon support.

— Cette sculpture parle de l'éphémère. En fondant, elle invite le spectateur à contempler l'évanescence de la vie. Cette oeuvre parle de la terreur que nous inspire notre condition de mortels.

— Eh crétin ! Il fait trop chaud pour faire des bonshommes de neige . Quel débile ! Ah ! ah ! ah !
— Un Philistin sur le trottoir.
— Le génie n'est jamais reconnu de son vivant.


mental_floss : Il y a une tendance à remâcher et recracher des oeuvres sous forme de suites et de remakes. Vous, vous avez eu une idée, vous l'avez exécutée, puis vous êtes passé à autre chose. Et vous avez ignoré les appels à continuer. Pourquoi les lecteurs ont-ils tant de mal à lâcher l'affaire ?

Bill Watterson : Aborder la lecture d'un oeuvre nouvelle demande une certaine dose de patience et d'énergie. Avec toujours le risque d'une déception. On ne peut pas vraiment en vouloir aux gens de préférer s'en tenir à ce qu'ils connaissent déjà et apprécient. L'envers de la médaille, bien sûr, c'est que ce qui est prévisible est ennuyeux. La répétition, c'est la mort de la magie.

Repentez-vous, pécheurs
La fin est proche
Le printemps arrive

— Ce sont des bonshommes de neiges prophètes de l'Apocalypse.
— Toi tu sais vraiment gâcher le plaisir de l'attente des premières jonquilles.


MF : Il y a quelques années, vous n'aviez pas tout à fait refusé l'idée d'une adaptation en dessin animé. Est-ce que vous êtes un fan de Pixar ? Est-ce que leur savoir-faire ne pourrait pas vous décider à franchir le pas ?

BW : La sophistication visuelle de Pixar m'époustoufle, mais ça ne m'intéresse absolument pas de faire un dessin animé Calvin et Hobbes. Quand on compare un roman à son adaptation cinématographique, on s'aperçoit immédiatement qu'on a massacré le roman. C'est inévitable car chaque média a ses forces et ses besoins, et quand on fait un film, la priorité, ce sont les besoins du film. En tant que BD, Calvin et Hobbes correspond exactement à mes intentions. Une adaptation ne m'apportera rien de plus en termes artistiques.

(…)

— Et ce bonhomme de neige, c'est quoi ?
— C'est un paléontologue.

— Il recherche des dinosaures des neiges du crétacé.
— Pourquoi a-t-il l'air triste ?

— Il vient de comprendre que la neige ne se fossilise pas. Elle fond et c'est tout.

— Tes bonshommes de neige ont des vies tragiques.
— Ouais mais bon, ils ne sont pas très malins.


MF : Selon vous, quelle est la place de la BD dans la culture d'aujourd'hui ?

BW : Personnellement, je préfère le papier et l'encre aux pixels scintillants, mais chacun son truc. Il est clair que la place de la BD est en train d'évoluer rapidement. D'un côté, je ne pense pas que les BD aient jamais été aussi largement acceptées ni prises autant au sérieux. Mais d'un autre côté, les média de masse se désintègrent et les publics s'atomisent. Je subodore qu'à l'avenir, la BD aura un impact culturel moins étendu et sera beaucoup moins rentable. Je suis assez vieux pour trouver cela dérangeant, mais le monde change. Les nouveaux média vont inévitablement modifier l'aspect, la fonction, et même le but de la BD, mais elle est par nature vivante et diverse, c'est pourquoi je pense qu'elle trouvera toujours sa pertinence, d'une façon ou d'une autre. Mais c'est sûr que ce ne sera pas la même que celle de mon enfance.

(…)

— Pourquoi a-t-il une bouillotte sur la tête ?
— C'est un suicide.


MF : Est-il possible qu'une nouvelle forme d'art séquentiel voie le jour ? Le strip en quatre cases risque-t-il de disparaître en même temps que les journaux papier ?

BW : La forme suit la fonction, comme disent les architectes. Avec des mots et des images, on peut tout faire.

(…)

En tant qu'artiste, je parlerai aux générations futures bien après ma mort !

— Bien vu.
— J'appelle celui-ci Nu descendant un escalier.


[Bill Watterson a toujours refusé qu'on fabrique des $#£//¥ de produits dérivés à partir de Calvin et Hobbes, les rares qui ont été mis sur le marché le furent sans son consentement. Le magazine qui récure le cerveau le questionne à propos d'une anecdote à ce sujet.]

MF : Est-il vrai que vous avez mis le feu à une caisse de peluches Hobbes qu'un fabricant avait pris l'initiative de vous livrer ?

BW : Pas tout à fait : ce n'est que ma tête qui a pris feu…

(…)

— Comment ça avance, ton art neigeux ?
— Je suis passé à l'abstraction.

— Ah.
— Cette oeuvre montre que l'imagerie et les symboles traditionnels ne sont plus adaptés pour dire le monde d'aujourd'hui.

— En abandonnant la figuration, je suis libre de m'exprimer par la forme seule. L'interprétation particulière cède le pas à un ressenti plus viscéral.

— Je note que ton oeuvre est monochrome.
— Ouais bon, c'est que de la neige.


MF : Est-ce que, par dépit ou mauvaise humeur, il vous est déjà arrivé de gratter un de ces stupides autocollants Calvin à l'arrière d'une camionnette ?

BW : Je crois qu'un jour, alors qu'on aura oublié ma BD depuis des lustres, ces autocollants seront ma seule porte d'entrée pour l'immortalité.

Traduction Florence Arié.


L'occasion de lire ma chronique intitulée Dominique le crocodile ou la perversité du pouvoir dans laquelle il est notamment question du Pogo de Walt Kelly, génial comic-strip qui a influencé Bill Watterson (sans oublier les Peanuts de Schulz, oeuf corse).

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