La cigarette du condamné
Brève

La cigarette du condamné

Le Monde, daté du jeudi 10 octobre. Page 18, un titre : La dernière exécution en France. Et un sur-titre, dans lequel figure le nom de Robert Badinter. L'oeil passe ; Badinter et l'abolition de la peine de mort on connaît, rien de neuf sous le soleil.

Et puis, page 19, une immense illustration montrant un homme à la tête coupée au cou rouge sang qui fume une cigarette sur fond gris ; puis le même, sur fond rouge ; puis le même encore, sur fond jaune ; puis le même enfin, avec toute sa tête.

Illustration Dusault


Une image dont le trait rappelle un peu certaines illustrations grand-bretonnes ou amerlocaines des années 70, imitant la gravure au burin. Quelques illustrateurs étazuniens, tel Douglas Smith, pratiquent encore ce style :

Illustration Douglas Smith


Ces quatre portraits presque identiques sur fonds colorés tous différents rappellent aussi Andy Warhol, évidemment. Les fameuses Marilyn. Mais là n'est pas le plus important. Ce n'est pas le trait imitant la gravure ou la mise en page warholienne qui attirent l'oeil, non. C'est la chronologie bouleversée des images. L'absence de tête d'abord, et sa présence ensuite. Avec dans cette dernière image, pour compenser l'absence de cou rouge, le bout de la cigarette incandescent, écarlate.

L'oeil s'arrête sur une telle illustration, lit ensuite le titre qu'elle surplombe : C'est à ce moment qu'il commence à réaliser que c'est fini - Monique Mabelly, magistrate, décrit les derniers instants du condamné.

Suit un texte écrit en 1977 par une juge d'instruction marseillaise commise d'office pour assister aux Baumettes à l'exécution d'un condamné à mort. Un texte écrit avec une extrême précision qui n'est pas sans rappeler la prose de Camus dans L'Étranger :

"On assied le condamné sur une chaise. Il a les mains entravées derrière le dos par des menottes. Un gardien lui donne une cigarette à bout filtrant. Il commence à fumer sans dire un mot. Il est jeune. Les cheveux très noirs, bien coiffés. Le visage est assez beau, des traits réguliers, mais le teint livide, et des cernes sous les yeux. Il n'a rien d'un débile, ni d'une brute. C'est plutôt un beau garçon. Il fume, et se plaint tout de suite que ses menottes sont trop serrées. Un gardien s'approche et tente de les desserrer."

Plus loin :

"Un gardien, jeune et amical, s'approche avec une bouteille de rhum et un verre. Il demande au condamné s'il veut boire et lui verse un demi-verre. Le condamné commence à boire lentement. Maintenant il a compris que sa vie s'arrêterait quand il aurait fini de boire."

Puis vient l'exécution :

"En une seconde, une vie a été tranchée. L'homme qui parlait, moins d'une minute plus tôt, n'est plus qu'un pyjama bleu dans un panier. Un gardien prend un tuyau d'arrosage."

L'exécution d'Hamida Djandoubi - c'est ainsi qu'il s'appelait - eut lieu le 9 septembre 1977 au petit matin. Il sera - mais la magistrate ne pouvait alors pas le savoir - le dernier condamné à mort exécuté en France.

Un texte poignant. À lire absolument.



Dans la presse, l'illustration sert parfois sinon souvent de bouche-trou. Elle remplit du papier blanc qu'elle griffe de lignes, barbouille de couleurs. Mais elle ne dit rien, et bien vite le vide affleure sous le dessin. Celui de Dusault, lui, arrête le regard, nous encourage à lire le texte, qu'il sert à la perfection. Ce n'est pas si courant. C'est dans Le Monde daté du jeudi 10 octobre, page 19.

L'occasion de lire ma chronique intitulée La bascule à Charlot, autre nom de la guillotine.

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