le rêve chinois de Xi Jinping
La couverture de l'hebdomadaire grand-breton The Economist à paraître demain samedi 4 mai 2013 affiche le titre suivant : Let's party like it's 1793 (Faisons la fête comme en 1793).
Mise à jour, samedi 4 mai, 11h30 : Le titre est une allusion à une chanson de Prince intitulée "1999" dans laquelle on peut entendre les mots "So tonight I'm gonna party like it's 1999". (Merci à l'@sinaute musicienne auteure de cette précision !)
L'image, elle, nous montre Xi Jinping, président de la République populaire de Chine depuis le 14 mars 2013 :
Le sous-titre nous dit Xi Jinping, the "Chinese Dream" and a return to greatness (Xi Jinping, le rêve chinois et un retour vers la grandeur).
Cette couverture est une allusion à Qianlong, empereur de la dynastie Qing qui régna de 1735 à 1796. Le voici peint en 1736 par Giuseppe Castiglione, un jésuite italien qui passa cinquante ans de sa vie à la cour de Chine où il fut le peintre officiel de trois empereurs successifs, Kangxi, Yongzheng et Qianlong :
L'empereur Qianlong par Giuseppe Castiglione, 1736
Et le voici à l'âge de quatre-vingt-cinq ans, peint par des artistes chinois inconnus :
La tunique de Qianlong nous montre principalement des dragons à cinq doigts, animal fabuleux symbolisant l'empereur (attention : seul les dragons impériaux ont cinq doigts, les autres n'en ont que quatre !).
Détail de la tunique de Qianlong par Giuseppe Castiglione
La tunique de Xi Jinping est un tantinet différente. L'homme, qui tient une flûte de champagne et une langue de belle-mère, est vêtu d'un costume d'apparat sur lequel sont dessinés des bateaux de guerre, des gratte-ciel shanghaiens, un train à grande vitesse, un avion de ligne, un avion militaire, un porte-avions :
Pourquoi cette référence au passé ? L'explication est donnée dans l'article de The Economist : "In 1793 a British envoy, Lord Macartney, arrived at the court of the Chinese emperor, hoping to open an embassy. He brought with him a selection of gifts from his newly industrialising nation. The Qianlong emperor, whose country then accounted for about a third of global GDP, swatted him away: “Your sincere humility and obedience can clearly be seen,” he wrote to King George III, but we do not have “the slightest need for your country’s manufactures”.
En 1793, un envoyé grand-breton, Lord Macartney, se présenta à la cour de l'empereur de Chine dans l'espoir d'ouvrir une ambassade. Il avait amené une sélection de cadeaux, produits par son pays nouvellement industrialisé. L'empereur Qianlong, dont le pays totalisait environ un tiers du PIB mondial, l'envoya paître : "Votre humilité et votre allégeance sont visibles", écrivit-il au roi George III, mais nous n'avons "aucun besoin des produits de votre pays".
C'est ainsi que fut réduit à néant l'espoir des Grands-bretons de vendre aux Chinois… leur opium indien ! (Eh oui, ils n'avaient pas l'intention de leur vendre du thé Earl Grey.) Ils en furent fort marris (le Grand-breton, dont la susceptibilité est bien connue, se sent facilement marri), ruminèrent pendant quelques années en sirotant de l'Earl Grey, puis déclenchèrent en 1839 la première guerre de l'opium qui fut bientôt suivi d'une seconde. Laquelle engagea alors la France, la Russie et les États-Unis. La Chine perdit la partie et la face et ce fut le début de la dégringolade avec la guerre des Boxers, la chute de la dynastie Qing au pouvoir depuis 1644, l'avènement de la première république de Chine en 1912, la guerre civile, la prise du pouvoir par les communistes en 1949.
Aujourd'hui (du moins selon cet article de The Economist intitulé Xi Jinping and the chinese dream, Xi Jinping et le rêve chinois), Xi Jinping souhaite retourner en arrière, retrouver les fastes de la cour des Qing boutant les Anglois buveurs de thé parfumé à la bergamote. Avec un slogan (car il est de tradition que chaque président de la République populaire de Chine en ponde un) : "le rêve chinois" (lire à ce sujet cet autre article du même hebdomadaire, Chasing the chinese dream, À la poursuite du rêve chinois). Un rêve difficile à définir, mélangeant au fameux rêve américain une pointe d'autoritarisme légèrement teintée de nationalisme, à moins que ce soit le contraire. Aujourd'hui, donc, la Chine rêve. Quand la Chine s'éveillera, comme disait l'autre, le monde tremblera-t-il ?
Dragon en papier découpé
L'occasion de lire ma chronique intitulée L'année du dragon.
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