Le Figaro Magazine ou la sémiologie pour les nuls
Brève

Le Figaro Magazine ou la sémiologie pour les nuls

Voici, selon un touite de Guy Birenbaum, la prochaine une du Figaro Magazine (à paraître demain vendredi) :


"Graphiquement supérieur", ironise-t-il.


Sauf que cette couverture ne représente pas le degré zéro du graphisme, non. Elle est au contraire parfaite dans son genre, à condition que l'on définisse le genre auquel elle appartient.

Pour y parvenir, observons d'abord l'image. Nous avons donc Cahuzac, vu en contre-plongée. La contre-plongée, c'est la combine habituelle pour signifier le pouvoir, la force : nous sommes, nous spectateurs, placés sous le personnage qui nous domine de sa hauteur.

Un exemple parmi tant d'autres d'homme fort
vu en contre-plongée



Avant de poursuivre l'examen de la photographie choisie par le Figaro Magazine, arrêtons-nous sur le titre, et les typographies associées.

"Les mensonges de la République".

"Les mensonges" est écrit dans une typographie sans empattement qu'on dénomme également sous le vocable de caractères bâton. Ces caractères relativement récents, marqués du sceau de la modernité, ne comportent pas de petits patins à l'extrémité des lettres. Ils furent employés par les futuristes italiens, les graphistes soviétiques des années 20 et les Allemands de la République de Weimar. Des gauchistes.

Couverture de la revue Merz de Kurt Schwitters
conçue par El Lissitzky, 1924


"de la République" est écrit dans une typographie avec empattements. C'est celle que les Romains utilisaient au fronton de leurs monuments et sur les piédestaux de leurs statues d'empereurs, celle également des grands textes classiques :

Belle page de la première édition
des Pensées de Pascal, 1669



Sur la couverture du Fig Mag, les lettres modernes, de gauche (utilisées par les graphistes soviétiques des années 20 et ceux de la république allemande de Weimar) sont hautes, étroitisées. Elles écrasent de tout leur poids les lettres classiques, celles de la République bafouée :


Imaginons un instant une titraille fondée sur le principe inverse :


Impossible ! Les mensonges ne peuvent être proférés par la France classique, celle de la tradition si chère au Fig Mag, et la République ne peut être inscrite en lettres nées des mouvements révolutionnaires des années 1920-1930. On voit par là que le choix des typographies n'est pas innocent, il a du sens.

"Les mensonges de la République", donc. Avec Cahuzac, homme du pouvoir actuel, photographié en contre-plongée. "Ce que rappelle l'affaire Cahuzac", est-il écrit en bas à gauche. Mais aussi la liste des autres mensonges : "Ces autres vérités qu'on nous cache sur la gravité de la crise, la hausse de la délinquance, la Manif pour tous…"

Cette liste s'inscrit dans les silhouettes de deux personnages au premier plan à gauche, des silhouettes floues, forcément floues. Eh oui, parce que cette litanie n'est pas limitative, ainsi que nous le suggèrent les points de suspension. Il y a sûrement encore d'autres affaires dans l'ombre qui ne vont pas tarder à surgir, tels ces deux personnages aux contours indistincts.


On notera enfin l'ambiance principalement noir et blanc, une image de deuil, presque. Parce que tout ça n'est pas drôle, messieudames, oh là là non, pas drôle du tout. C'est un triste constat qui s'étale sous nos yeux, un constat objectif à mille lieues des couvertures en rouge et jaune criards du Point ou de L'Express.

Une bien belle une, finalement, que cette couverture du prochain Figaro Magazine. Celle d'un magazine d'informations ? Pas tout à fait. Celle d'un magazine qui pratique la propagande en utilisant tous les ressorts de la communication visuelle ? Sans aucun doute.

Mise à jour, 20h10 : Les propos de Guy Birenbaum n'étaient pas ironiques, j'avais lu trop vite sa prose. Qu'il veuille bien me pardonner.

L'occasion de lire ma chronique intitulée De la photocopie considérée comme un des beaux-arts où il était question de typographie et d'affiches de cinéma.

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