BCE : "austérité dans le calme" (Lordon)
Avouez : on a vite oublié l’annonce de Mario Draghi qui permet à la BCE l’achat de dettes souveraines des pays membres de façon illimitée mais sous conditions. Pourtant c’était il y a quinze jours, c’est-à-dire rien à l’échelle de l’histoire de l’Union européenne. Quand je dis on a vite oublié, c’était sans compter sur l’économiste Frédéric Lordon, directeur de recherche au CNRS et auteur du blog La pompe à phynance.
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Dans son dernier billet, Lordon fait cette comparaison qui parlera aux amateurs de la Fureur de vivre. Selon lui, la BCE joue à ce jeu stupide qu’on appelle jeu de la mauviette (en anglais chicken game) : deux voitures foncent en parallèle vers le précipice, le premier qui saute du véhicule a perdu. Tandis que les pays en difficulté roulent vers le gouffre, entrainés par des plans d’austérité dont on n'a même plus besoin de démontrer les effets pervers et surtout la toxicité, la BCE roule en parallèle, "tétanisée par les querelles byzantines de définition de son mandat." Cela dit, dans ce jeu de con (Lordon dixit), la BCE veut bien jouer "mais pas jusqu’au bout tout de même puisque, mine de rien, avec la survie de l’euro, il y va… de la sienne propre ! Plus d’euro, plus de BCE : c’est un argument que même la BCE comprend." D’où la décision de racheter les dettes des Etats en difficultés, dans les conditions que nous avons épluchées dans ce papier. D’ailleurs on posait la question : faut-il féliciter Mario Draghi ? Non répond Lordon.
Et pour plusieurs raisons : d’une part, le programme de rachat des dettes est lié à l’adhésion du Fonds européen de stabilité financière (FESF), "c’est-à-dire de la Troïka et de ses humanistes", et donc de l’austérité à l’infini. D’autre part, l’annonce de Draghi, dont le but est de calmer les marchés pour faire redescendre les taux d’intérêts sur les obligations d'Etat, a bien un côté sédatif dont on ne sait combien de temps il durera. Ce nouveau "patch" désespère l’économiste : la BCE calme certes le jeu mais ne règle pas les problèmes structurels. Dans ce jeu de mauviette, elle ralentit la course mais ne change en rien la direction, c’est-à-dire le précipice. On va donc passer "de l’austérité tout court à l’austérité dans le calme – dans le calme des marchés bien sûr." Pour Lordon, le seul espoir des populations résidait dans "l’effondrement endogène de la construction monétaire européenne", annonçant la fin de leur souffrance. La BCE leur enlève aujourd’hui cette perspective. Mais pas forcément pour très longtemps.
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