Martine, Angela, et les garçons
Brève

Martine, Angela, et les garçons

Martine Aubry va désigner son successeur.

Toute seule. Hop, elle se réunit, elle se concerte, Martine débat démocratiquement avec Aubry, et elle désigne son successeur à l'unanimité. C'est ainsi que ça se passe au PS. Ce sont les statuts. Au début, cette information est affectée par lémédia d'un coefficient polémique zéro. C'est un fait. Les journalistes politiques relatent le fait brut. Sans commentaires. Sujet verbe complément. On écoute ça quelques jours. On pense: ce n'est pas possible, ils n'ont pas dû bien comprendre ce qu'ils disent. Il est impossible qu'ils s'en tiennent au fait, qu'ils résistent à la tentation de donner leur opinion, d'éditorialiser.

Heureusement, comme on pouvait le prévoir, l'affaire monte. Des articles d'hebdos font part de confidences off the record de Hollande. En substance: on la laisse faire son caprice, il ne faut pas la fâcher, des fois qu'elle décide, au dernier moment, sur un coup de tête, de rester à son poste pour emmerder le monde. Et tout d'un coup ça monte sec. Quelques socialistes osent la comparaison avec la Corée du Nord. En quelques jours, c'est devenu un sujet. Pour un peu, la presse en ligne ferait un sondage: est-il normal que Martine Aubry désigne son successeur, ou bien considérez-vous qu'on est en Corée du Nord ? Que s'est-il passé exactement ? A quel moment ce qui n'était qu'une stricte application des statuts du PS devient-il un basculement vers la Corée du Nord ? C'est un des mystères du journalisme politique.

Risquons une hypothèse: un tremblement de terre est en cours parmi les journalistes solférinologues, et plus généralement parmi les journalistes politiques. Il y a l'aile traditionnaliste: on couvre un parti politique traditionnel. On ne relate, dans nos articles, que ce qui est strictement politique, dans l'attitude des dirigeants. Et il y a les rénovateurs, qui ont décidé de traiter les dirigeants socialistes comme des mômes capricieux et caractériels, une bande d'ados sans cervelle dans un sitcom. Cela donne des livres, comme la floraison de la rentrée, qui racontent dans le détail comment François a fait interdire la tribune du meeting à Ségo, pour ne pas avoir de scène avec Monamour, retour à la maison.

A la vérité, ce ne sont pas deux ailes. On sent bien qu'il y a, en chaque journaliste solférinologue, du traditionnaliste et du rénovateur. On sent bien qu'ils sont partagés, qu'ils ne savent plus exactement ce qu'ils voient, ce qu'ils ont le droit de dire, ce que le public demande, que tout ça se mélange dans leur tête. On sent bien qu'ils ont compris confusément que les deux fictions sont incompatibles, qu'on ne peut pas vendre les deux à la fois, qu'on ne peut pas parler dans le même récit des dirigeants de la cinquième puissance mondiale, et d'une bande de sitcom. On sent bien qu'ils n'arrivent pas à choisir.

Creusons l'hypothèse. Si la "tendance" psychologisante, voire psychiatrisante, dans la couverture médiatique de la vie politique nationale, gagne du terrain, sans doute est-ce lié au fait que les institutions politiques nationales sont désormais à peu près vidées de tout pouvoir réel, au profit de centres de décision supranationaux. Autrement dit, une sorte de surmoi -"ne révélons pas trop au public que les dirigeants sont une bande d'ados sans cervelle, ça affaiblirait le pays"- est en train de craquer. La couverture solenno-mystique se reporte donc sur le jeu entre ces institutions étrangères ou supranationales (Troïka, BCE, chancelière allemande, etc).

Statistiquement, ces acteurs-là ont pourtant aussi peu de chances d'être épargnés par les pulsions adolescentes, que François et Monamour. En creusant bien, il est probable qu'on pourrait écrire sur Angela et les Mario, des livres tout aussi croustillants que sur nos vedettes nationales. Mais cette intéressante hypothèse ne pourra, hélas, être vérifiée que plus tard.

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