En Islande, la surprise Thora n'a pas eu lieu (Slate)
Brève

En Islande, la surprise Thora n'a pas eu lieu (Slate)

Une femme présidente en Islande ? Les (quelques) médias français qui se sont penchés sur la présidentielle islandaise voulaient y croire et imaginaient déjà sa victoire. Mais face au candidat sortant, la journaliste de télévision Thora Arnórsdóttir n'a pas fait le poids le 30 juin. Slate s'est rendu sur place pour comprendre pourquoi et prendre le pouls de la population.

Avec ses 320 000 habitants, l'Islande fait rarement parler d'elle. Il a fallu l'éruption en 2010 du désormais célèbre Eyjafjöll pour que les médias français s'intéressent à cette île tout au nord de l'Europe. L'élection présidentielle, qui se tenait le 30 juin, aurait donc pu passer inaperçue dans l'hexagone, sans la candidature de Thora Arnórsdóttir, une journaliste de 37 ans.

Principale figure de l'opposition, elle a éclipsé les quatre autres prétendants dans la presse française. Au point d'apparaître comme la seule à concurrencer le président sortant, Olafur Ragnar Grimsson, qui briguait un cinquième mandat consécutif. Il convient de préciser qu'en Islande, le pouvoir est surtout détenu par le Premier ministre, le président jouant davantage un rôle représentatif.

Admiratif devant le parcours de cette mère de 6 enfants novice en politique, Libération avait dressé mi-juin un portrait dithyrambique de "Thora", telle qu'on l'appelle en Islande. Présentée comme une "journaliste vedette" au physique "proche de Grace Kelly", elle décrivait ses projets pour son pays et affirmait vouloir la "réconciliation" de son peuple, divisé sur les causes et les conséquences du krach financier qui a violemment secoué le pays en 2008.

RFI aussi s'est penché sur le profil de la présentatrice télé, qui joue"la carte du renouveau". Le titre de l'article annonce la couleur : "L’Islande est sur le point de donner tous les pouvoirs aux femmes". Le chapeau prenait plus de précautions et ne prévoyait sa victoire qu'au conditionnel. La parité à l'islandaise, voilà sans doute ce qui a suscité l'enthousiasme des journalistes français. Ils ne manquent pas de souligner que le compagnon de Thora Arnórsdóttir a mis sa carrière entre parenthèses pour sa femme, et profite de son temps libre pour "s’occuper des couches et des courses". Plus étonnant encore, la candidate a mené campagne enceinte, et a accouché de son troisième enfant à un mois du scrutin.

Habitué à mettre en avant des femmes dans ses pages, le Figaro Madame lui a consacré un article, dans lequel elle est présentée comme le symbole d'un pays "où l'égalité [...] n’est pas qu’un concept". Le journal rappelle aussi son imposant CV, la dame est en effet "diplômée des universités de Bologne et de Washington en relations internationales".


Une demie-surprise

En Islande, la présidentielle se déroule en un seul tour. Au soir de l'élection, l'outsider blonde a finalement recueilli 33% des voix, bien loin du président sortant, réélu avec 52% des suffrages. Sur place, ce résultat ne surprend guère la population, comme la remarqué Elise Costa, la reporter de Slate qui s'est rendue sur l'île.

Selon David, un étudiant de 22 ans, le scrutin était joué d'avance :"Thora n’aurait jamais gagné, je ne sais pas pourquoi vous y avez cru une seconde. Elle est trop jeune, trop socialiste dans un pays libéral. Elle réfléchit à court terme. Tu ne peux pas promettre aux gens du poisson, tu dois leur apprendre à pêcher". Avant de rapeller le rôle restreint du président dans la politique du pays.

Candidat à sa réélection,Olafur Ragnar Grimsson avait aussi quelques cartes à jouer. Frappé par la crise de 2008, l'Islande a vu son système bancaire s'effondrer et sa monnaie être dévaluée. S'en en suivi un plan de rigueur et une intervention du FMI. C'est alors qu'est intervenu le président : il a utilisé l'un de ses rares pouvoirs et consulté le peuple via un référendum pour déterminer si le pays devait rembourser ses créanciers. A deux reprises, les Islandais refusent de payer la note (près de 4 milliards d'euros), et la relance finit par revenir, sous l'effet des politiques du gouvernement socio-démocrate revenu au pouvoir.

Face à lui, Thora pourrait avoir été pénalisée par son statut de femme. C'est en tout cas l'avis d'un habitant de Reykjavik, qui a remarqué le retour d'une forme de machisme : "Sur Facebook, on lit des discours hallucinants de la part de certains Islandais, qui estiment qu’il y a trop de femmes aux postes importants. Notre Premier ministre est une femme mariée à une autre femme. Notre archevêque est une femme. Voir une femme président en prime, ç’en était trop pour eux." Surprenant pour un pays qui a été le premier a élire une femme à la présidence, en 1980. Fort de ses 52%, le président Grimsson rempile en tout cas pour 4 années supplémentaires à la tête de l'État. Il fêtera en 2016 son 20e anniversaire au pouvoir.

(Par Thomas Deszpot)

La politique islandaise était au coeur d'une de nos émissions l'an dernier. Nous nous intéressions à la gestion de la crise par les dirigeants du pays, et nous étions justement arrêtés sur le rôle ambigü du Président.

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