Hénin-Beaumont : à la recherche des "pourquoi pas ?"
Brève

Hénin-Beaumont : à la recherche des "pourquoi pas ?"

L'image est simple: un duel Le Pen-Mélenchon, dans une ville sinistrée du Pas-de-Calais, sur fond de PS gangrené par "les affaires". Trop simple ? C'était l'occasion de tenter de passer "derrière l'image". (Le second épisode est ici)

Douce surprise du lundi soir ! Porte après porte, la cité Darcy, cité pourtant électoralement "volatile" de Hénin-Beaumont, ne semble pas radicalement hostile à Mélenchon. Pour quelques visages qui se ferment -"je ne l'aime pas, votre machin va partir direct à la poubelle"- plusieurs portes s'ouvrent, devant la poignée de militants (Parti de gauche, socialistes dissidents, et "non cartés", pêle-mêle), qui tractent sous le crachin. Mystères du terrain. Evaluer le succès d'un "porte à porte", c'est un art. Ceux qui s'affichent d'emblée "de l'autre bord" ("Moi j'ai choisi de travailler, Madame. Alors quand je les vois tous, avec le RSA...") ceux-là ne comptent pas. Les acquis d'avance, communistes depuis la mine, non plus. Reste la vraie cible: les autres. Tous les autres habitants de cette ancienne cité minière coquettement réhabilitée, ceux qui balancent d'une élection l'autre entre l'abstention, la gauche, et Le Pen (44% dans la cité à la présidentielle), en fonction de critères "qui échappent au rationnel", soupire un militant. Restent tous les "pourquoi pas ?" "Bonsoir madame, monsieur, je viens vous parler du vote pour Jean-Luc Mélenchon." "Ah." Silence. "Oui". Silence. La porte va-t-elle s'ouvrir, se fermer ? Et enfin: "Pourquoi pas ?" Il faut apprendre à soupeser un "pourquoi pas ?" Il faut le disséquer, l'interpréter, et à l'arrivée, oui, décider de s'en réjouir, en se persuadant qu'il fait écho au sondage du JDD de la veille qui, en donnant Mélenchon vainqueur, a regonflé toute la gauche de la 11e circonscription du Pas-de-Calais -et des circonscriptions voisines.

Et ils en ont bien besoin. Si les mélenchonniens s'organisent, si la candidate verte Marine Tondelier à infligé à Marine Le Pen un mémorable karaoké le week-end dernier, le sourire de Le Pen tient quasi-seul les murs de la ville. Guère d'autre affiche, pour l'instant, que celles de "Marine". "Mélenchon est arrivé samedi. En cinq heures, ils avaient réussi à distribuer un tract de réponse dans les 12 000 boîtes de la ville. Nous, on met 48 heures", soupire un militant de gauche.

Avant de savoir ce qu'ils voteront, les habitants en ont marre d'entendre parler de Hénin-Beaumont dans les médias. Une dame de la cité Darcy: "tenez, l'autre soir, j'écoutais Ruquier. Eh bien, il y avait un journaliste, là, enfin, un humoriste, qui disait "comme punition on vous enverra à Hénin-Beaumont". "Ah oui, on en a marre de la stigmatisation de la ville. On en a marre d'entendre parler du "fief de Marine Le Pen", de "ses terres de Henin-Beaumont", toutes ces expressions ridicules" renchérissent les militants sur le pas des portes. Ce soir-là, ils drainent tout de même, outre l'envoyé spécial frigorifié d'@si, une équipe de C dans l'air. Et encore, ce sont les basses eaux. Madame de la cité Darcy, la semaine prochaine, quand Le Pen et Mélenchon seront rentrés de la session du Parlement européen de Strasbourg, attendez-vous à répondre à CNN et à la NHK. Mais c'est un des paradoxes de la situation.

Parmi les militants qui arpentent ce soir-là la cité Darcy, Claire Boutillier, 21 ans, étudiante, et militante PS. "Vous êtes au PS, et vous appelez à voter Mélenchon ?" s'enquiert une dame, qui a manifestement manqué quelques épisodes du feuilleton. Eh oui. Et elle n'est pas la seule. La mélenchonnie, à en croire la rumeur locale, aurait infiltré jusqu'à la mairie de Hénin-Beaumont, toujours néo-socialiste, après une décennie de psychodrames politico-judiciaires, qui défient toute rétrospective détaillée (les courageux peuvent se replonger dans notre émission Ligne j@une, avec Marie-Noëlle Lienemann, dont certains Héninois se souviennent encore). Tel employé municipal, tel chef de service, sympathiseraient quasi-ouvertement.

Etrange situation. Car le PS résiste. Enfin, en surface. Si le parti a douloureusement investi aux législatives un professeur d'université, Philippe Kemel, c'est ensuite beaucoup moins simple. Prenez Jean-Pierre Corbisez, maire d'Oignies, et président de l'agglomération Hénin-Carvin, qui a déposé un recours contre l'élection de Kemel, après que Kemel ait déposé un recours contre l'élection de Corbisez. Il a acueilli Mélenchon la semaine dernière. "Très chaleureusement", a aussitôt tweeté l'OVNI, enthousiaste. Jusqu'à se proposer, comme l'a écrit Libé, d'être le suppléant de Mélenchon, à la place du communiste Hervé Poly ?

Sujet désormais tabou. Corbisez, qui assiste ce lundi, quasi-mutique, à la conférence de presse de Kemel, n'en dira pas plus. Il consentirait à accorder une interview "sur le développement du territoire". Mais "si ça dérape sur le politique", alors là non, il ne répondra pas. "Comment faire équipe avec des gens qui, il y a peu, vous traitaient de tricheur ?" demande Pascal Wallart, chef de l'agence de la Voix du Nord, imperturbablement sceptique devant cette belle scène d'enterrement de hache de guerre...

picto ...sur laquelle le journal titrera le lendemain.

Et Kemel, magnifique: "Monsieur, j'ai une philosophie: je ne vis pas avec le péché originel".

 

"J'ai... j'avais confiance dans mon parti"

Parmi les socialistes gagnés par la mélenchonnie, Pierre Ferrari, grand jeune homme droit et mince, trente ans, dont dix ans de ferraillages désespérés, et désespérants, contre la fédération PS du Pas de Calais, dix ans "pris dans l'étau entre le FN et la fédé". Dix ans à tenter de rester droit dans cet univers opaque comme une urne de congrès, dans ces habitudes molletistes de la toute-puissance et de l'impunité, qui ont corrompu les hommes les uns après les autres. Dix ans à tenter un impossible dehors-dedans. Un dossier de presse gros comme ça, et plus impressionnant encore, le dossier de ses courriers aux instances régionales et nationales du parti. Pourquoi y être resté si longtemps, malgré les urnes opaques, les votes des morts, la placardisation des fortes têtes, et même, à l'occasion une menace -verbale- de mort ? "Parce que je suis socialiste. J'ai...j'avais confiance en mon parti."

Mais tout de même, cette impuissance du national, à mettre de l'ordre dans la fédération ? "Pour l'instant, Monsieur. Et je crois qu'un jour, ça se fera. Kucheida doit être entendu prochainement par la Justice. Il y a peu, ç'aurait été impensable". Ferrari, à qui sont manifestement promises les plus hautes destinées heninoises, s'il parvient simplement à survivre, a voté à Reims pour la motion Hamon, admire Montebourg, et, donc, milite ouvertement pour Mélenchon. Aubry ? "Une femme honnête. Mais elle a eu besoin du soutien de la Fédération du Pas-de-Calais au congrès de Reims".

En attendant que soit reconstituée un jour la section PS de Hénin-Beaumont, pour l'heure dissoute par la fédération, Pierre Ferrari tient permanence, tous les vendredis de 18 à 20 heures, dans le petit siège de son association "Un nouvel élan pour Hénin-Beaumont". Problèmes d'emploi, de logement: l'ordinaire. Il n'est d'ailleurs pas le seul. Tous les élus, et même ceux qui ne le sont pas, tiennent permanence. Le FN aussi tient permanence "et ils ont des réseaux patronaux, eux, capables de faire embaucher des gens pour des petits contrats", dit Ferrari. Des réseaux patronaux ? Le FN ferait donc du clientélisme, comme le PS ? Ferrari ne cite aucun nom.

Lui, à sa place, fait ce qu'il peut. Pas seulement à la permanence du vendredi, d'ailleurs. Sur le parking de l'église, il est soudain interpellé. "Donne-moi deux euros, pour m'acheter un sandwich américain." Ferrari donne. Sermonne: "j'espère que c'est vraiment pour un américain". Le solliciteur, autoritaire: "et encore quarante centimes pour la sauce". "Ah non t'exagères". Une seconde d'hésitation, où l'on sent affleurer comme une interrogation sur les limites du rôle de l'élu. Ferrari fouille pourtant son porte-monnaie, trouve encore quelques pièces jaunes. Explique, entre deux saluts amicaux à des passants: "ce Monsieur est sous tutelle. Il vit avec quelques centaines d'euros par mois. Les fins de mois sont dures". Et longues: on est le 21 mai, à Hénin-Beaumont.

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