L'Ui, le dénommé
Brève

L'Ui, le dénommé

Comment l'appeler ? Depuis cinq ans, la plupart de mes confrères ne se posent pas la question.

Dans leurs papiers, écrits, ou radiophoniques, ils le nomment selon les codes en vigueur, par son prénom et son nom lorsqu'ils parlent simplement de lui, et sinon par sa fonction, président de la République, chef de l'Etat. Face à lui, en studio, ils lui donnent du "Monsieur le président", comme si de rien n'était. Depuis sa déclaration de candidature, tout a changé. Le reçoivent-ils sur leurs plateaux, ils lui balancent du "Nicolasarkozy" long comme le bras, histoire de bien marquer la différence, ça n'a plus rien à voir, c'est désormais le citoyen que nous recevons, le simple citoyen qui est arrivé à pied en passant par la boulangerie, un parmi d'autres, tous égaux, quelle belle chose que la République, etc etc. Même lorsque (comme Europe 1 hier) ils décalent le carillon de 8 heures de trois minutes, parce que le simple citoyen arrivé à pied conserve tout de même le pouvoir de retarder la marche du temps et qu'il a débordé de trois minutes (si si je vous jure, ils ont décalé le carillon), même là, ils lui donnent du "Nicolasarkozy".

Je ne sais pas comment ils font pour l'appeler "Monsieur le président". Personnellement, je n'aurais jamais pu. Vous me direz que je ne me suis jamais, en cinq ans, trouvé face à lui. C'est vrai. Mais même à distance, je ne peux pas. S'agissant de lui, je n'ai jamais pu écrire "le président de la République" (les plus pointilleux peuvent plonger dans les archives du matinaute, un prolongement d'abonnement gratuit à celui qui me démentira). Même là, en tête à tête avec les touches du clavier, les mots ne seraient pas passés. Parce que je n'ai jamais vu en lui "le président", mais simplement un gars qui fait président, comme il ferait autre chose (des gaufres, des petites tour Eiffel, du business, etc). Je ne prétends pas que ce soit très professionnel. Mais c'est mon droit.

Tout ça pour parler de la tentative de Libé de ce matin. Salon du livre oblige, ils ont confié les clés à des écrivains. Rien que des écrivains. Et comme l'écrivain est joueur, plus joueur que le journaliste, les écrivains ont décidé de faire tout le journal sans écrire une seule fois son nom. Ils l'appellent "l'Ui" (Hélène Cixous, qui signe l'édito, explique pourquoi). Cela donne des phrases assez drôles, tout au long du journal (un journal bourré de pépites, d'ailleurs, bien plus inattendu que d'habitude, faudrait faire ça plus souvent...) Et non seulement c'est drôle mais, même tôt le matin, ça fait réfléchir. A la sommation qui nous est faite, à nous journalistes, de nommer les choses, les phénomènes, les crises, les doctrines, les institutions, ou les gens, comme ils ont toujours été nommés, comme on veut que nous les nommions. Et à l'incroyable et subversif pouvoir qui consiste à les dé-nommer, à les autre-nommer, quand ça nous chante, pouvoir que nous devrions exercer plus souvent.

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