Maudit Pivot !
Brève

Maudit Pivot !

Il y a des phrases, tôt le matin, qui font mal.

"Je n'ai pas écrit de livres, car je ne voulais pas être en concurrence avec les auteurs que j'invitais". Bernard Pivot était en promo-souvenirs chez Patrick Cohen. Ah, maudit Pivot ! Qu'il resurgisse dans le paysage, et soudain on mesure avec accablement le temps parcouru. Sachant que je suis lu par de très jeunes matinautes, je dois dresser le décor. C'était, jeunes matinautes, avant les années fric, avant Ardisson-Fogiel et le cynisme obligatoire, avant que l'horizon se rétrécisse finalement à la superficialité niaise de Denisot-Baddou. Eh oui, jeunes matinautes, il y a eu un avant Denisot-Baddou. Il y a eu un corps à corps avec les auteurs, sans acharnement ni complaisance, sans vannes acides ni sourires mièvres, avec respect et exigence. A la té-lé-vi-sion, tu veux dire ? Oui, à la télévision. Avant vingt-trois heures trente ? Eh oui. Au moins au début.

Je vous parle d'un temps où le spectacle était non seulement de qualité, mais moral.  D'un temps où il n'était pas besoin de hautes autorités, de commissions sur les conflits d'intérêt, pour imposer des règles élémentaires: quand on était Pivot, quand on disposait du pouvoir immense de remplir les librairies le samedi matin, ne pas publier soi-même de livres, pour ne pas se placer en conflit d'intérêts. Rappelant la règle à laquelle il se soumettait, Pivot ne magnifie pas. J'en témoigne. Je suis entré dans la carrière de journaliste et d'auteur alors que Pivot était à son apogée. Et, quels que soient les talents des attaché(e)s de presse,  l'entregent des éditeurs, nul ne pouvait jamais savoir si tel nouveau livre décrocherait un passage chez Pivot. L'auteur débutant, inconnu, et même pas journaliste d'ailleurs, pouvait y avoir droit, de la même manière que le ponte pouvait languir, exiger, intriguer, trépigner: ça ne ferait pas arriver plus vite l'invitation. Notre dossier sur le pacte infernal de l'édition et des médias, leur consanguinité, leur  guirlande de renvois d'ascenseurs et d'auto-célébrations, on aurait eu bien du mal à le nourrir avec Pivot.

Comment cet univers s'est-il laissé engloutir ? Comment en est-on arrivé à ce paysage éditorial désespérant de livres virtuels formatés, au règne de l'impunité  pour les plagiaires et les négriers au black ? Est-ce la privatisation de TF1 en 1987, qui a définitivement fait basculer le système, en déplaçant vers le gros privé bétonneur et bétonné, sa logique, ses finalités, ses valeurs, le centre de gravité de l'audiovisuel, et, par réaction en chaîne, de tout le système médiatique ? Et ce basculement a-t-il contaminé l'édition (et bien au-delà d'elle, d'ailleurs, de larges pans de la vie publique) ? Faute d'explication plus valable, celle-là me semble encore la plus opérante. L'actuel coma est-il irréversible, ou une nationalisation de TF1 contribuerait-elle à une résurrection ? Sujet de méditation, pour week-end prolongé.

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