Saint Gourcuff, aimant à fantasmes
Brève

Saint Gourcuff, aimant à fantasmes

Si on n'a pas pu, tout au long du week-end, se décrocher du feuilleton de lébleus en délire

, c'est surtout parcequ'il est formidablement révélateur sur le fonctionnement de la presse française. Cas de figure : voici une succession de crises, de conciliabules, et de pétages de plombs, qui n'ont aucun témoin direct, autre que les acteurs de ces événements. Aucun reporter, expert, commentateur, éditorialiste, n'était présent dans le vestiaire où à fusé la fameuse insulte d'Anelka à Domenech, aucun n'a pu juger directement des positions de l'insulteur et de l'insulté, de la puissance vocale de l'insulte, de son contexte, etc.

La seule chose dont on soit à peu près certains, c'est qu'au centre du pétage de plomb généralisé, figure l'attaquant bordelais Yoann Gourcuff, et sa relation difficile avec les autres membres de lébleus.

A partir de là, commence le pétage de plombs médiatique généralisé.

Le cas du 20 Heures de TF1, observé méthodiquement, est le plus simple : même si, samedi et dimanche soir, il a consacré l'essentiel de sa durée au feuilleton, pas un mot sur le déclencheur Gourcuff. Images chocs d'affrontements, irruption "non prévue" de Ribéry sur le plateau de Télé foot, déclarations navrées des politiques, duplex à répétition avec Bachelot en direct du banc des commentateurs, rappels à l'ordre sentencieux par toutes sortes d'autorités morales, Woerth en tête, des joueurs, qui devraient se souvenir de "l'honneur" de "porter le maillot de l'équipe de France"; figure omniprésente, et en creux, des "gamins de banlieue" et de leur terrible désillusion : la télé est fidèle à sa vocation, montrer pour ne surtout rien dire.

La presse écrite rattrape le déficit, plaquant sur le conflit Gourcuff / lébleus la grille de lecture du feuilleton multi-déclinable "bandes ethniques dans les banlieues, territoires perdus de la république, violences au collège". Sous couvert d'une revue de presse, L'Express dépeint par exemple une équipe de France qui aurait laissé place à des "clans". "Les Noirs d'origine antillaise, les Noirs d'origine africaine, les Blancs, les musulmans, ceux qui jouent à l'étranger, ceux qui sont restés en France," détaille L'Express, citant une interview d'un énvoyé spécial du Monde où, étrangement, on ne retrouve pas l'énumération citée. Plutôt que de discrimation ethnique, crime dont il disculpe lébleus après examen méthodique, un blogueur de Marianne2 suppose plutôt que Gourcuff serait victime de sa "bonne éducation", à la manière d'un trop bon élève, trop poli, en butte à la jalousie méchante du "caïd de collège" Ribery (L'Equipe). Le blogueur a de bonnes lectures, puisqu'il cite comme il se doit la journaliste Natacha Polony, pourfendeuse notoire des dérives pédagogistes, bien connue de nos @sinautes. Au-dessus de ce camp-là, bizarrement emmené par les reporters de L'Equipe, flotte bien entendu la figure tutélaire du boutefeu Finkielkraut, qui n'a pas manqué l'occasion, dès dimanche, de stigmatiser les "cailleras" de l'équipe, et leur "morale de maffia".

Dans le camp d'en face, à Libé, la figure de Saint Gourcuff est évidemment plus trouble. Tout d'un coup, le bon élève trop poli devient "complètement paniqué quand quelqu'un qu'il ne connait pas l'aborde, hors de portée du commun des mortels". Il s'est "aliéné les cadres Ribéry, Henry et Anelka", les clubs étrangers "ne se bousculent pas pour le faire signer" et, circonstance particulièrement aggravante, il a choisi pour le représenter un avocat d'affaires qui "représentait Laure Manaudou" (?) Bref, le trop bon élève a bien cherché les embrouilles. Pour autant, Libé ne dédouane pas lébleus, mais plutôt qu'à leur essence de cailleras, l'éditorialiste préfère les ramener à leur destin de "traders bling bling".

Alternative infernale entre omerta (TF1) et délire verbal (tous les autres), plaquage fiévreux et arbitraire de représentations fantasmées sur une réalité complexe et inconnue : si l'on a bien suivi le feuilleton, on a beaucoup progressé dans la compréhension des mécanismes de la presse française.

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