, à Luc Bronner, du Monde. Plus précisément, à un article de Bronner minimisant, selon Bilger, l'agression dont a été victime une conductrice de bus, le 10 mai, en Seine Saint-Denis. A cet article, il oppose une interview choc de la victime, dans Le Parisien. Mais Bilger (personne n'est parfait) ne cite pas lui-même les passages des deux articles qu'il oppose, et n'offre pas davantage de lien. Alors allons-y.

Sur le déroulement des faits, pas de contradictions. Trois jeunes filles montent dans un bus, et demandent à la conductrice de les déposer plus loin que le terminus. Refus. L'une des jeunes filles crache sur la conductrice. Le bus arrivé à son terminus, l'altercation se poursuit sur le trottoir. Titre du Monde, quatre jours après les faits (l'article n'est pas en ligne) : "Le passage à tabac d'une conductrice de bus à Aulnay sous Bois était en fait une simple altercation". Passage litigieux de l'article: "la jeune fille a bel et bien frappé la conductrice, sans la rouer de coups, comme cela a ensuite été raconté et repris dans les médias." Que dit, sur cette même scène, le "poignant témoignage de la conductrice de bus", relaté par Le Parisien ? "Elle s’est mise à me frapper, me tirer les cheveux. Je suis tombée et elle a continué à me donner des coups. Je me protégeais le visage. Les gens sont intervenus pour la retenir. Ma fille lui a attrapé le bras en criant : « Arrête ! Arrête ! » Puis elles sont parties".

Conclusion du magistrat critique : "Le Parisien, qui ne lésine pas sur les tranches de vie, a au moins l'honnêteté de laisser le cours des choses et la douleur des êtres faire irruption dans son espace sans les dénaturer. Il n'a pas honte du réel, il l'exploite, ce qui n'est pas indigne. Le Monde (...) sur les registres divers que j'ai évoqués, refuse parfois d'aller droit au but, de toucher le coeur, le coeur de la cible. Ce n'est pas qu'ils aient une répugnance de principe à l'égard de la vérité mais ils ont peur. On ne sait pas ce que le citoyen pourrait en faire. Dans le journalisme pour professionnels, il y a toujours un peu de mépris, un tantinet d'élitisme, la crainte d'un scandale républicain".

Bronner a-t-il eu peur ? Sur notre plateau, voici quelques semaines, on l'avait découvert en effet très précautionneux sur ce qui se dit, et ne se dit pas, notamment à propos de la polygamie. Mais cher ami magistrat, si je puis me permettre, vous tapez à côté. Ce n'est pas la forme du récit, choisie par Le Monde, qui est blâmable. C'est que ce récit est apparemment faux, ou au moins incomplet. Pas trace, dans Le Monde, du fait que la conductrice a été frappée à terre, ce qui est davantage qu'un détail. De l'interview ou du récit, l'un des deux genres est-il plus "juste", a-t-il davantage de chances de toucher à l'exactitude, de briser les "tabous" ? Non. Contrairement aux apparences, l'interview n'est pas plus "réelle" que le récit d'un journaliste. Elle exprime la version de l'interviewé, qui n'est qu'une part de la réalité. Les questions ne sont pas neutres. Bref, l'essentiel n'est pas le genre choisi, mais, comme toujours, le désir d'approcher la réalité au plus près, en sachant bien qu'on n'y parviendra jamais.