Faisons donc connaissance avec Ida, notre grand tante, femelle primate âgée de 47 millions d'années, ancêtre commune présumée de la famille que nous formons avec les singes, d'une part, et la branche des actuels lémuriens, d'autre part. Ida, morte âgée de neuf mois environ, pesant moins d'un kilo, et qui faisait l'ouverture mercredi du journal de 8 heures de France Inter. "Le chaînon manquant", "l'arche perdue", la "pierre de Rosette", claironnent les scientifiques qui ont dévoilé à New York le squelette étonnamment conservé de tante Ida.

Internet étant impitoyable, quelques clics suffisent au matinaute pour réaliser qu'Ida n'arrive pas par hasard, un beau matin de mai, exhumée de la veille par des paléontologues vernis. Découverte en 1983, ce qui ne date pas d'hier, Ida a été présentée cette semaine lors d'une conférence de presse  à grand spectacle à New York, inaugurée par le maire Bloomberg. Cette conférence de presse annonce elle-même un documentaire, "The link" (le chaînon) qui doit être diffusé la semaine prochaine sur History Channel, et pour lequel le site de la chaîne a déjà mis les petits plats de baies dans les grands. Il n'est pas de découverte qui vaille, sans vente exclusive des droits à un média, de préférence étazunien. Il est probable que la généalogie de Ida, comme celle de Lucy, sera contestée par des rivaux et des grincheux. Mais ses parrains, par ce lancement, aborderont la controverse en position de force.

Qu'aurait pensé de cet accueil tonitruant tante Ida, dont la discrétion, à son époque, était peut-être proverbiale ?  Peut-être aurait-elle été moins dépaysée qu'on ne pourrait le craindre. Longtemps décriée, l'autre branche de ses descendants, nos cousins lémuriens, est en voie de réhabilitation rapide. Non seulement les lémuriens sont intelligents, mais ils sont retors. Deux scientifiques français viennent même d'établir que les lémuriens sont parfaitement capables de manipuler l'information, et de déployer des trésors d'astuce pour cacher à des intrus un festin de raisins secs. Attachée comme toute sa génération aux valeurs familiales, tante Ida aurait sans doute approuvé la perpétuation, à travers les millions d'années, des qualités de l'espèce.