Le Tour, une question de langue
En 1987, j'ai couvert le Tour de France, pour Le Monde. C'est une plongée terrifiante dans un univers totalement hermétique à l'extérieur. Je ne suis jamais parti en immersion dans un sous-marin nucléaire, mais ce doit être la même chose. Cette année-là, le Tour partait de Berlin. Le Mur était encore debout. N'y connaissant rien au cyclisme, j'étais chargé des "à côtés". Je me souviens de mon premier reportage matinal dans la caravane, avec ma question stupide sous le bras : "ça vous fait quoi, de démarrer le Tour sous le Mur de Berlin ?" Rien. Ca ne leur faisait rien. A personne. Je parlais une autre langue. Coureurs, journalistes, distributeurs de bonbons sur les routes, dirigeants, se renferment pendant trois semaines, parlent leur langue propre, vivent dans leurs souvenirs et leurs regrets, repassent le film en boucle, évacuent l'avenir.
A l'inverse, de l'extérieur, cet univers est tout aussi incompréhensible. Ainsi, la question naturelle qui vient à l'esprit ("mais pourquoi, d'année en année, continuent-ils à se doper, alors qu'ils savent qu'ils vont se faire prendre, et partiront sous les sifflets?"), cette question n'a aucune réponse formulable, dans aucune des langues ou des dialectes parlés à l'extérieur.
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