Intrusion dans un lycée : et le récit médiatique s'inversa
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Intrusion dans un lycée : et le récit médiatique s'inversa

Spectaculaires modifications dans les articles du Parisien et du Figaro

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En 24 heures, les médias sont passés d'une tentative d'agression "liée à la religion", version lourdement promue par Laurent Wauquiez en campagne électorale, à un conflit de voisinage ancien et sans dimension religieuse. Difficile aux lecteurs d'y voir clair à propos de ce fait divers qui s'est produit le 2 juin devant un lycée de Lyon. Surtout quand les médias modifient leurs articles en douce.

Par Quentin-Mathéo Pihour

"Expédition punitive dans un lycée contre une adolescente amoureuse d’un non-musulman", titre Valeurs actuelles, ce 3 juin au soir. Le média local du groupe Ouest-France Actu Lyon décrit des "individus [ayant] tenté de pénétrer dans le lycée pour s'en prendre à une lycéenne", tandis que Le Figaro choisit "tentative d'expédition punitive menée sur une lycéenne de confession musulmane". Que s'est-il donc passé au lycée de la Martinière-Diderot, à Lyon, le 2 juin ? Selon les informations données par Actu Lyon, un groupe d'individus aurait "tenté de pénétrer dans le lycée" avant d'être "repoussés par les agents de sécurité." Une "expédition punitive" - selon une "source proche du dossier" mentionnée par le média - qui aurait visé une lycéenne en couple "avec un lycéen non-musulman", ce qui aurait provoqué l'incident. 

Mais pour la cheffe du service police-justice de BFMTV, Cécile Ollivier, les faits sont tout autres. "Il n'y a pas eu de "tentative d'intrusion" dans le lycée. 2 personnes se sont présentées, ont demandé «où est X» et sont reparties sans proférer aucune menace", affirme-t-elle au matin du 4 juin sur Twitter. "Par ailleurs, la famille de la jeune femme est en conflit depuis des années avec des voisins, musulmans également. Dimanche 30 mai, ces voisins ont eu une altercation avec le petit ami, pour une histoire de stationnement", poursuit la journaliste, qui vient contredire frontalement l'hypothèse d'une agression à motif religieux. "C'est à cette occasion que les voisins auraient dit «et en plus tu sors avec un non musulman». La jeune fille n'a pas déposé plainte, sa mère a été auditionnée." 

Pas de panique, Wauquiez arrive !

Lorsqu'Actu Lyon révèle ce fait divers, il annonce dans son article la venue sur place de Laurent Wauquiez, président LR de la Région Auvergne Rhône-Alpes. Le site d'actualité locale ajoute que l'homme politique est "en pleine campagne des régionales" et qu'il a "justement axé sa campagne sur la sécurité." Les informations avaient été vérifiées par Actu Lyon, assure un de ses journalistes à Arrêt sur images : "Tous les canaux habituels (parquet, pref, DDSP, rectorat...) ont été contactés dans le processus de rédaction de l'article". Lors de son passage le même jour dans le lycée, Wauquiez répond aux questions de la chaîne CNews dans un extrait diffusé par l'homme politique sur Twitter. "On a affaire à une jeune élève, qui - comme ça arrive à tous nos étudiants et toutes nos étudiantes -  est tombée amoureuse, mais pas de quelqu'un de confession musulmane. Visiblement cela a été insupportable pour une bande de voyous islamistes et qui ont exercé une pression forte contre elle, et qui sont venus jusqu'à essayer de venir la chercher sur le site de son lycée." Dans le tweet présentant l'extrait, l'homme politique réitère sa volonté "d'empêcher de telles expéditions punitives".

Plusieurs médias nationaux relaient alors les propos de Laurent Wauquiez et l'article d'Actu Lyon dans la soirée du 3 juin. Valeurs actuelles cite l'homme politique en expliquant qu'il "a dénoncé une situation «très grave» et l’œuvre de «voyous islamistes», suite à la tentative d’agression d’une jeune fille [...] victime d’une véritable «expédition punitive» parce qu’elle souhaitait fréquenter un jeune homme non-musulman". CNews mentionne "un petit groupe de personnes" qui "aurait tenté de s'introduire dans le lycée pour intimider l'adolescente, musulmane, qui entretiendrait une relation avec un garçon qui n'appartient pas à sa religion". Mais la palme revient au Figaro qui évoque "un petit groupe d'individus encapuchonnés [qui] a assailli le lycée situé quartier des Terreaux et s’est directement confronté aux agents de sécurité sur place". 

"Tout est encore une fois mensonger", réplique le 4 juin le journaliste de Mediapart David Perrotin sur Twitter en s'appuyant sur les tweets acides de la cheffe de service de BFMTV. "Laurent Wauquiez parle d’une «expédition punitive» d’un «groupe d’islamistes» dans un lycée et promet plus de sécurité dans les établissements. Des médias relaient le tout sans vérifier." Joint par ASI, David Perrotin explique avoir vu "que plusieurs articles indiquaient une «source administrative», ce qui laisse penser que ça vient de la Région, de Wauquiez, et non pas du parquet. Les médias parlent de la venue de Wauquiez, sur place il fait une vidéo dans laquelle il parle d'un groupe islamiste qui serait venu pour enlever ou frapper une musulmane, et met en avant son programme de sécurité [dans le cadre de sa candidature aux régionales]." 

Le Parisien métamorphose son article

Face aux nombreuses informations contradictoires reprises dans les médias, le rectorat de Lyon diffuse le 4 juin un communiqué diffusé expliquant que "deux personnes adultes se sont présentées à la loge du lycée La Martinière-Diderot en demandant à voir une élève de l'établissement", puis que "la personne en charge de l'accueil leur a refusé l'entrée  comme la procédure d'accès aux établissements l'impose", suite à quoi "les deux personnes ont donc quitté les lieux sans manifestation de violence". Une version bien loin de celle mettant en scène un groupe d'individus ayant tenté de s'introduire dans l'établissement... Actu Lyon publie alors un nouvel article mettant en parallèle les propos de Laurent Wauquiez et la réponse du rectorat, tandis que France 3 Auvergne Rhône-Alpes met en ligne un article reprenant "l'expédition punitive" relatée par l'homme politique, tout en indiquant que l'information "ne semble pas exacte d'après une publication du rectorat". Du côté du Figaro, l'article initial est modifié le lendemain de sa publication. Il explique désormais que "plusieurs individus ont tenté de s'introduire dans le lycée". Mais sans préciser à ses lecteurs la nature des modifications, pourtant importantes l'auteur de l'article n'a pas répondu à la sollicitation d'ASI.

Un changement de ton médiatique repéré par Ouest-France, qui explique dans un article consacré à l'affaire que "plusieurs médias ont fait état d’une expédition punitive à l’encontre d’une lycéenne de confession musulmane, pour des raisons mêlant relation amoureuse et religion", avant d'ajouter que "le parquet de Lyon a démenti ces informations dans les colonnes du Parisien." Comme Le Figaro, Le Parisien a d'ailleurs entièrement modifié son article : celui-ci indique désormais que "deux personnes, et non quatre ou cinq, se sont présentées devant les portes du lycée [et] ont demandé à voir une élève de l’établissement avant de repartir". Mais sans plus indiquer que Le Figaro la nature des modifications apportées, car le quotidien faisait initialement mention d'un "groupe d'hommes venus de Vénissieux [ayant] cherché à s'introduire dans le lycée La Martinière-Diderot pour s'en prendre à une lycéenne." De même, le titre est passé de "Lyon : une adolescente menacée jusque dans son lycée parce qu'elle sort avec un non-musulman" (14 h 12) à "Lycéenne menacée à Lyon : un «conflit de voisinage» qui fait beaucoup de bruit" – comme il est possible de le voir via ce lien (regarder les mots de l'URL initiale). 

Cette débâcle médiatique a été parachevée par le parquet de Lyon qui assure, dans l'article du Parisien, que "ces faits qui pourraient s’inscrire dans un conflit de voisinage perdurant depuis plusieurs années". Le quotidien rapporte également, comme le faisait en début de journée la journaliste de BFMTV, que ce conflit de voisinage "aurait pris de l’ampleur très récemment à cause d’une altercation liée à une place de stationnement, le petit ami de la lycéenne, ne s’entendant pas avec ses voisins".  Alors, "lors de cette altercation, des mots ont été échangés entre les deux familles sur la relation entre la lycéenne et son compagnon, en effet non musulman". Pas de quoi arrêter un responsable politique en campagne sur le thème de la sécurité. Ni Valeurs actuelles, qui n'a toujours pas modifié une ligne à son article initial pourtant très partiel – pour être charitable.

Par Quentin-Mathéo Pihour

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