Homosexualité : la palme d'or de Kechiche divise la presse tunisienne
Le quotidien Le Temps, moderne, et anti-salafiste aborde de front le sujet du film et se félicite de son succès.
Youssef Seddik écrit dans sa chronique : "Certains m'ont même assuré que Tarek Ben Ammar sabotait en sous-main et in peto le film de son compatriote. J'en étais tellement atterré que j'ai posé la question à brûle-pourpoint au Maître à bord du yakht Nessma accosté au port de Cannes. L’exubérant et tentaculaire milliardaire tunisien, en était si atterré lui aussi qu'il a immédiatement téléphoné à Kéchiche, devant nous, comme pour se laver immédiatement d'une si salope accusation. Il lui a laissé un vibrant message de soutien, de sympathie, et même sa certitude qu'il allait avec nous tous, ses frères et sœurs tunisiens fêter la fierté de sa récompense prochaine..." "Le lauréat, lui, était somptueux dans ce rôle loin d'être joué, plutôt installé en lui comme son être-même, le "rôle" de l'intimidé en face de l'effrayant don du génie et de l'homme lucide quand il se voit acculé à exprimer ce don qui vient de passer par lui comme un frisson. Un égal salut à son pays d'accueil, la France, et à son pays d'origine, La Tunisie. Un double salut articulé autour de la jeunesse, de la liberté et de l'amour." |
"Kechiche la justesse de l’exil absolu" titre sur le côté de la Une sur une colonne, une chronique du quotidien Le Temps de ce mardi.
Dans un autre article Le Temps explique : "En palmant le film d'Abdellatif Kechiche, le jury présidé par Steven Spielberg n'a pas distingué «un film sur l'homosexualité», mais une magnifique histoire d'amour entre deux femmes, superbement filmée et interprétée. La récompense d'un cinéma qui fait exploser les vieux carcans et les clichés réactionnaires. (...) Kechiche a expliqué avoir voulu raconter une histoire d'amour —qui se déroule entre deux femmes. «Je n'ai pas eu envie de faire un film militant ou avec un discours sur un thème précis, ici en l'occurrence l'homosexualité», a expliqué le réalisateur dans plusieurs interviews. Il a voulu «raconter l'histoire d'un couple, du couple»(...) Ce n'est pas un film sur l'homophobie. Ce n'est pas un film sur la différence. C'est un film d'amour."
Plus neutre L'Economiste signale le prix via une dépêche de l'agence tunisienne TAP, qui n'évoque pas le scénario du film "«La vie d’Adèle» du réalisateur tunisien Abdellatif Kechiche a remporté, dimanche 26 mai, la Palme d’or à la 66ème édition du Festival de Cannes. (...) Inspiré du roman graphique«Le bleu est une couleur chaude» de l’auteure française de bande dessinée, Julie Maroth, ce long-métrage réunit dans les deux rôles principaux deux jeunes actrices françaises Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos. Kechiche a déclaré aux médias internationaux qu’il offrait ce prix à la jeunesse de la révolution tunisienne pour leur aspiration à vivre librement."
"Un film qui n'a aucune chance de passer dans les salles tunisiennes"
Le site Mag14, cité par France 24, pense que c'est "un film qui n’a a priori aucune chance de passer dans les salles de cinéma tunisiennes. D’une lucidité à toute épreuve, Ben Khamsa affirmera ainsi: Je crois que pour voir ‘’La vie d’Adèle’’ d'Abdellatif Kechiche dans son pays natal, nous devrons tous être reconnaissants aux vidéo clubs et à l'industrie du piratage en Tunisie".
Mais tout le monde n'est pas admiratif. Exemple avec Moez El Kahlaoui, toujours sur Mag14, sous le titre "Le cinéma tunisien frappe sous la ceinture" : "En quoi Abdellatif Kechiche, et surtout son film «La vie d’Adèle», couronné par la Palme d’Or au festival de Cannes, sont-ils tunisiens ? Ce long-métrage de trois heures, au cours duquel le spectateur est littéralement happé dans l’intimité d’un duo amoureux lesbien est-il représentatif de la culture tunisienne ? (...) La prévalence de la sexualité protéiforme dans le cinéma tunisien ne date pas d’aujourd’hui. La preuve? Quand Kechiche était encore un illustre inconnu dans l’Hexagone, le réalisateur Nouri Bouzid lui avait offert un premier rôle à la mesure de son talent d’acteur dans «Bezness», en 1992: celui d’un gigolo qui se prostitue au profit exclusif des touristes occidentaux en goguette en Tunisie."
Il ajoute : "Abdellatif Kechiche s’inscrit donc dans le droit fil de la «tradition» cinématographique tunisienne qui semble avoir fait des ambigüités sexuelles une spécialité" et conclut que les Tunisiens "ne veulent plus voir les films tournés par leur compatriotes même en version DVD piratée (...) parce qu’ils ne se reconnaissent pas dans un cinéma totalement déconnecté de leurs réalités."
Un film "particulier, pouvant susciter des réserves"
RFI souligne la réaction officielle du gouvernement. "En fin de soirée dimanche, le ministère de la Culture saluait la Palme d'or d'Abdellatif Kechiche comme «un motif de fierté» pour la Tunisie, tout en qualifiant le film de «particulier, pouvant susciter des réserves chez une partie du public tunisien».
La réalisatrice Salma Baccar a d'ailleurs pris note de ces félicitations gouvernementales : "J’espère que le ministre de la Culture ne se contredira pas. S’il a dit être fier de cette palme octroyée à un Tunisien, il faut qu’il lui donne les moyens d’être vu par les Tunisiens. Il faut que nous puissions le voir et en débattre et non pas que sa diffusion débouche sur des violences comme dans le cas de Persépolis et du film de Nadia El Fani.”
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