Frais bancaires : plafonner, mais comment ?
Brève

Frais bancaires : plafonner, mais comment ?

Une victoire pour les clients des banques ? Jeudi 14 février, lors de la discussion du projet de réforme bancaire à l’Assemblée, les députés adoptent un amendement qui prévoit le plafonnement de certains frais bancaires. Depuis, les banques sortent le grand jeu : courrier au gouvernement, communiqué de presse relayé dans les journaux et menaces à peine déguisées. Pourtant, rien n’est encore décidé.

Chagrinés les banquiers ? Oui et c’est un petit détail contenu dans la loi de réforme bancaire, qui sera votée cet après-midi à l’Assemblée, qui les rend si malheureux. Souvenez-vous : une partie de ce texte est consacrée à "la protection du consommateur bancaire". Parmi les mesures, le projet prévoit un plafonnement des commissions pour les populations les plus fragiles. Ces commissions – un forfait compris entre 5 et 15 euros selon les banques – sont prélevées dès que vous dépassez votre découvert. Certains paient ainsi jusqu’à 500 euros par mois de frais, sans compter, bien sûr, les agios qui s’ajoutent par la suite. Une bonne mesure selon Maxime Chipoy de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir qui regrettait cependant qu’elle concerne uniquement "les personnes les plus fragiles" sans plus de précisions (des surendettés ? Des allocataires du RSA ? Le projet de loi ne le précisait pas).

Surprise lors de l’examen du projet dans l’hémicycle : le jour de la saint Valentin, les députés adoptent un amendement qui plafonne ces commissions pour tout le monde.

Selon la Tribune, ces frais sont même doublement plafonnés : on parle de cinq euros par opération et pour un total max de 40 euros par mois. Le plafonnement pour tous était une solution défendue par UFC qui préférait néanmoins un plafonnement de l’ensemble des frais bancaires. De plus, Maxime Chipoy craint que les banques ne se rattrapent sur les frais de rejet. Si le montant de ces frais sont plafonnés (50 euros pour un chèque refusé de 50 euros, 30 en deçà) la banque peut en facturer autant qu’elle le souhaite.

Mais, pas bégueule pour autant, l’association y voit une petite victoire. Et les banquiers un grand malheur. Pensez : ces commissions rapportent aux banques, toutes enseignes confondues, entre 1,8 milliards et 3 milliards d’euros par an.

Fâchés, six banquiers ont fait connaître leur mauvaise humeur au gouvernement via un courrier envoyé ce week-end. Selon une dépêche AFP reprise par Libération, ces patrons de banques se disent inquiets d’une telle mesure "qui coûterait des sommes considérables" alors que – attention chantage - "la banque de détail, une industrie qui emploie plus de 300.000 personnes en France, doit affronter une conjoncture historiquement difficile". Un courrier appuyé par un communiqué de presse de la fédération bancaire française (FBF). Si, lundi matin, François Pérol, signataire du courrier et président du directoire de Banques Populaires Caisses d'Epargne (BPCE), a écarté au micro de BFM Business "tout chantage à l’emploi", en revanche, le président de la FFB Jean-Paul Chifflet n’exclut pas de devoir augmenter les marges sur le crédit immobilier. Ses chantages font sourire Maxime Chipoy : "le coup de l’emploi c’est un grand classique, mais personne n'est dupe". Quant au crédit immobilier, Chipoy considère que les très juteux frais bancaires facturés aux personnes les plus fragiles n’ont pas à subventionner des crédits pour les plus aisés. Que les taux augmentent, et les prix immobiliers baisseront.

Menaces à peine déguisées et chaudes larmes à l’appui, les banques ont sorti l’artillerie lourde. Pourtant, rien n’est fait. En regardant de plus près, on s’aperçoit en effet que l’amendement en question (le 182) prévoit certes un double plafonnement mais ne fixe aucun montant. Ces derniers seront fixés par le gouvernement dans un arrêté. Ce n’est pas un mal, estime Chipoy, qui préfère que les montants ne soient pas gravés dans le marbre de la loi, histoire de pouvoir les baisser facilement. Une procédure tout à fait normale, estime pour sa part le député PS Christian Paul, premier signataire de l’amendement : "les parlementaires ont fixé un principe, maintenant c’est au pouvoir exécutif de poser les jalons". Et d’où sortent les chiffres avancés par la Tribune ? "Ce sont ceux que j’ai proposés après consultation de l’UFC. Cinq euros, c’est le plus bas des forfaits appliqué aujourd’hui par les banques, et celles qui l’appliquent ne sont pas, à notre connaissance, en faillite". Mais comment être sûr que le gouvernement fixera des jalons de cet ordre-là ? "Nous y veillerons". Mais ce n’est pas gagné.

Une plongée dans les discussions sur cette question des commissions d’intervention à l’Assemblée et l'on découvre que le chiffre de cinq euros est loin d’être adopté. Il avait d’ailleurs été écrit noir sur blanc dans l’amendement 72 défendu par le député UMP Philippe Armand Martin, tombé au profit de l’amendement socialiste. C’est le jeu parlementaire, explique l’attaché parlementaire de Martin qui précise que la proposition de son député reprenait une idée de Christine Lagarde. Alors Ministre de l’Economie, elle voulait limiter ces commissions à cinq euros ou les réduire de 50%. Pourquoi, selon lui, l’amendement PS ne prévoit pas de seuil ? L'attaché est formel : "sous pression des banquiers". Voire, autre hypothèse, pour se laisser une marge de manœuvre au Sénat quand le projet de loi y sera discuté au printemps. Si une partie du texte coince chez les sénateurs, on pourra toujours leur proposer, histoire de lâcher du lest, de muscler cette partie sur les commissions d’intervention.

Autre raison de croire que le chiffre de cinq euros n’est pas près de voir le jour : la rapporteure du texte Karine Berger y semble plutôt opposée. Toujours dans les discussions disponibles sur le site de l’Assemblée, la députée PS prévient : "plafonner de manière très stricte, sans tenir compte de la situation exacte et de l’équilibre existant entre une banque et l’ensemble de ses clients, risque de nous faire dépasser la ligne de crête et de mettre des personnes en difficulté, voire de leur faire courir le risque d’un rejet des chèques ou des prélèvements, du fait du plafond de 5 euros que vous voulez instaurer". Pourtant le rejet d’un paiement est une solution préférable selon Chipoy. Certes ces frais sont élevés mais au moins le client est prévenu par courrier qu’il dépasse son découvert. Et s’il renfloue son compte, le client est alors facturé seulement du prix du courrier (soit tout de même entre dix et quinze euros, ce qui fait cher le timbre).

On comprend mieux les cris des banques : le lobbying bancaire ne fait que commencer.

Si vous avez manqué des épisodes sur le projet de réforme bancaire, allez zou, direction le dossier consacré aux banques, ces mastodontes incontrôlés.

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