Overinformation
Brève

Overinformation

C'est un texte qui me trotte dans la tête depuis plusieurs jours

, avec insistance. A quoi bon savoir, s'informer, puisque rien ne changera, se demande dans un pénétrant article mon confrère Serge Halimi, directeur du Monde diplomatique. A quoi bon cliquer sur des sites, tourner des pages, qui ne vous dévoilent rien d'autre, à longueur de colonnes, que la désespérante injustice, et l'éternité de l'absurdité ?

On sait tout, c'est sûr. Par exemple, on sait que la glorieuse maison Sciences Po, sous le règne de feu son directeur Richard Descoings, était gouvernée comme une mafia, par une petite bande se tenant mutuellement à coups de primes et de prébendes, en dehors de tout cadre légal. C'est la Cour des comptes qui l'a dit, confirmant plusieurs enquêtes journalistiques. On parle là de l'école dont est issu un membre sur deux de la classe politique française. On sait tout, et qu'est-ce qui changera ? L'école sera-t-elle réformée ? Son statut sera-t-il enfin éclairci ? A-t-on entendu des ministres de gauche, des anciens ministres de droite, interrogés sur la délinquance de la rue Saint Guillaume, comme ils le sont sur l'autoradicalisation des islamistes ?

On sait tout. Par exemple, pour peu que l'on s'aventure sur le Web, on sait que Audrey Pulvar, journaliste de gauche, regarde le monde à travers des lunettes sur mesure à 12 000 euros. L'information est parue dans les profondeurs d'un portrait du mensuel Technikart. Promptement repérée par des twittos, elle a buzzé ces jours derniers. Sur son propre compte Twitter (dont l'enseigne est précisément une photo de l'objet du délit) Pulvar a mollement démenti, expliquant que les lunettes ne coûtaient pas ce prix-là, mais sans en donner le prix exact. La maison Bonnet, lunettier parisien, dont les modèles peuvent effectivement monter jusqu'à 20 000 euros la paire, ne "confirme pas qu'il s'agisse de lunettes en écaille de tortue, espèce protégée, et dont les écailles sont donc rares". A noter qu'elle ne le dément pas non plus. Sur ce point précis, il est exact que notre information pêche.

On sait tout. On sait que Roselyne Bachelot, ancien ministre de la Santé, sera payée 20 000 euros par mois par la nouvelle chaîne filiale de Canal+, D8, pour sa participation quotidienne à la nouvelle émission de la mi-journée de Laurence Ferrari (on a pu, hier, lors de la première, la voir confectionner une salade César). 20 000 euros, soit davantage que son salaire antérieur de ministre. On sait donc cela, on ne peut pas faire semblant de l'ignorer: sur le marché, un chroniqueur de télévision privée vaut davantage qu'un ministre. On sait tout, du plus grave au plus futile, et on est si bien overinformés qu'on n'a plus le temps de s'en indigner. L'impasse majuscule de la crise étouffe les scandales minuscules, qui clapotent jour après jour. On sait tout, on ne sait rien, et on pressent au moins une chose: il y a peu de chances que ça finisse bien.

Partager cet article Commenter

 

Cet article est libre d’accès
En vous abonnant, vous contribuez
à une information sur les médias
indépendante et sans pub.

Déjà abonné.e ?

Voir aussi

Ne pas manquer

DÉCOUVRIR NOS FORMULES D'ABONNEMENT SANS ENGAGEMENT

(Conditions générales d'utilisation et de vente)
Pourquoi s'abonner ?
  • Accès illimité à tous nos articles, chroniques et émissions
  • Téléchargement des émissions en MP3 ou MP4
  • Partage d'un contenu à ses proches gratuitement chaque semaine
  • Vote pour choisir les contenus en accès gratuit chaque jeudi
  • Sans engagement
Devenir
Asinaute

5 € / mois
ou 50 € / an

Je m'abonne
Asinaute
Généreux

10 € / mois
ou 100 € / an

Je m'abonne
Asinaute
en galère

2 € / mois
ou 22 € / an

Je m'abonne
Abonnement
« cadeau »


50 € / an

J'offre ASI

Professionnels et collectivités, retrouvez vos offres dédiées ici

Abonnez-vous

En vous abonnant, vous contribuez à une information sur les médias indépendante et sans pub.