Procès Breivik : comment ne pas en faire une tribune ?
Salle 250 du tribunal d'Oslo, en Norvège, il est 10h10. Anders Breivik prend la parole, une dizaine de feuilles en main: "c'est d'une importance cruciale que je puisse expliquer la raison et les motifs" des attaques. Le terroriste plaide la légitime défense, mais pas la sienne, celle de la Norvège: "les attaques du 22 juillet étaient des attaques préventives pour défendre les Norvégiens de souche", "j'ai agi en situation d'urgence au nom de mon peuple, de ma culture et de mon pays, je demande donc ma relaxe." Puis Breivik réinvente l'histoire: l'ouest de l'Europe serait progressivement passé sous l'emprise "des marxistes et des multiculturalistes". Résultat, "un jour, les musulmans deviendront la majorité". |
Le terroriste affirme s'être lui même "auto-censuré", il dit avoir "attenué la rhétorique, par égard aux proches et aux familles des victimes". Certains journalistes retranscrivent ces déclarations sur twitter, comme Olivier Truc, du Monde qui prévient: "il parle, mais c'est vous qui pensez". Truc cite précisemment le plaidoyer du terroriste, ses références à Hitler, les statistiques qu'il évoque... "Et encore, je vous en épargne la plupart!" répond le journaliste à un internaute choqué. |
Le Parisien, 20minutes ou Le Nouvel Obs ont choisi de mettre en place des directs, mais les propos du terroriste sont retranscrits de manière beaucoup plus générale que sur Twitter. Par exemple, le site du Parisien n'a pas actualisé sa page de 10h25 à 11 heures. Durant ce laps de temps, sur Twitter, Truc indiquait que Breivik affirmait représenter un mouvement qui défend les droits des populations indigènes d'Europe, qu'il citait Adolf Hitler et que pour le terroriste, "les démocraties sont devenues des dictatures multiculturelles".
Le direct de Libération est beaucoup plus complet. La journaliste Anne-Françoise Hivert, sur place, ne manque pas une miette du procès et il ne se passe pas cinq minutes sans qu'elle l'actualise des citations du terroriste. Mais contrairement aux autres sites d'information, la possibilité de laisser des commentaires a été désactivée. La phrase d'Olivier Truc résonne : "il parle, mais c'est vous qui pensez"… mais en silence, c'est plus sûr.
les commentaires ont été desactivés.
C'est évidemment en Norvège que la solution la plus radicale pour échapper au discours de Breivik a été trouvée. Le site d'information Dagbladet, sur sa page d'accueil, a ajouté un "bouton" qui permet d'acceder à une autre version du site, totalement débarrassée de toute allusion au terroriste. L'alternative permet d'éviter aux Norvégiens, encore traumatisés par la tuerie d'Utoya, de raviver ces douloureux souvenirs. Le président des jeunes travaillistes norvégiennes a lui-même conseillé à ses membres de ne pas suivre en détails le procès.
Mais l'enjeu est aussi clairement politique. La plus grosse crainte étant que la folie meurtière d'Andres Breivik ne passe pour un exemple à suivre, une idéologie a répandre. Car cette idéologie trouve bien ses fondements dans les partis d'extrême droite existants. C'est ce qu'exprime la Une du quotidien norvégien Klassekampen (ci-contre): on y voit un dessin du tueur avec, au dessus, en grosses lettres, les mots "veut continuer à provoquer". Le titre ne parle pas d'Andres Breivik mais du parti du progrès, le parti d'extrême droite norvégien FrP dont la présidente affirme qu'elle "continuera avec le même ton sur l'immigration".
(Par Anna Ravix)
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