Un prof piège ses élèves sur le net (blog)
Loys est professeur de lettres classiques dans un lycée parisien. Au début de sa carrière, alors qu’il corrige la première dissertation donnée à la maison, il découvre qu’une grande partie des copies se sont largement inspirées d’un corrigé en ligne vendu la modique somme de 1,95 euros.
Pas du genre à s’abattre, le prof décide alors de pourrir le web pendant ses vacances d’été : "J’ai exhumé de ma bibliothèque un poème baroque du XVIIème siècle, introuvable ou presque sur le web. L’auteur en est Charles de Vion d’Alibray." Loys ajoute sur la maigre page wikipédia du poète une fausse idylle avec Madame de Bonnais censée donner à son œuvre "une tournure plus lyrique et plus sombre." Il s’écrit sur des forums, joue tour à tour le rôle de l’élève qui pose des questions sur le poème puis celui de l’érudit, et enfin il rédige un pseudo-commentaire qu’il envoie aux sites proposant des corrigés payants, en l’occurrence Oboulo et Oodoc.
A la rentrée, le prof demande à ses élèves un commentaire du poème en question à faire à la maison. Résultat : "Grâce aux différents marqueurs que j’avais méticuleusement répartis sur le web j’ai pu facilement recenser quels sites avaient été visités par quels élèves et recopiés dans quelle proportion. A titre d'exemple de marqueurs, la notice biographique de l’auteur de Wikipédia évoquait Melle de Beaunais, mais le commentaire composé sur Oboulo et Oodoc était plus précis en parlant d'Anne de Beaunais. Cette femme aimée sans retour par le poète est évidemment un personnage tout à fait imaginaire (Anne de Beaunais = Bonnet d’âne)..."
"Sur 65 élèves, 51 élèves - soit plus des trois-quarts - ont recopié à des degrés divers ce qu’ils trouvaient sur internet. (…) J’ai rendu les copies corrigées, mais non notées bien évidemment - le but n'étant pas de les punir -, en dévoilant progressivement aux élèves de quelle supercherie ils avaient été victimes. Ce fut un grand moment : après quelques instants de stupeur et d’incompréhension, ils ont ri et applaudi de bon cœur."
Le prof en tire cette leçon : "Les élèves au lycée n'ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique en lettres. Leur servitude à l'égard d'internet va même à l'encontre de l'autonomie de pensée et de la culture personnelle que l'école est supposée leur donner." Il conclut sur un paradoxe assumé : "On ne profite vraiment du numérique que quand on a formé son esprit sans lui."
© Loys
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