Mediator : nouvelles révélations sur Servier (Libé et Rue89)
Brève

Mediator : nouvelles révélations sur Servier (Libé et Rue89)

Le laboratoire Servier va-t-il s'en prendre aux médecins qui ont prescrit du Mediator ?

Selon des informations de Libération, publiées hier, le laboratoire fabricant du mediator tente de se disculper en mettant en cause les praticiens qui préconisaient l'emploi du Mediator comme coupe-faim, alors qu'il s'agissait d'un antidiabétique. Selon le journal, la première offensive de Servier vise une endocrinologue qui a prescrit du Mediator à une patiente.

Le journal se base sur un "mémoire en défense" établi par Servier en février dernier pour répondre à une saisine de la Commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) du Rhône par cette patiente. Les experts ont conclu dans un premier rapport rendu en décembre 2010 que "la seule cause identifiée qui permette d'expliquer la pathologie valvulaire aortique" de cette patiente était "la prise du Médiator". Mais Servier décline toute responsabilité, et demande à la CRCI de "conclure à la responsabilité du Dr F. dans la production du dommage", parce qu'elle aurait prescrit le médicament "pour le traitement de son obésité". "On ne saurait en effet retenir la responsabilité du fabricant pour l'utilisation détournée d'un produit qu'il a mis sur le marché", poursuit Servier. L'avocat de l'endocrinologue, cité par Libération assure pourtant que le médecin n'est pas sorti des clous dans ses prescriptions.

Les CRCI, créées en 2002, sont des instances publiques qui servent principalement à déterminer quelle indemnisation peut être versée à une victime d'erreur médicale, dans le cadre d'un accord à l'amiable, sans passer par la justice. Mais la patiente a par ailleurs décidé d'assigner en référé Servier devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour faire reconnaître la responsabilité du groupe. Elle réclame 120 000 euros à titre de provision d'indemnisation de son préjudice corporel. L'affaire sera examinée le 13 septembre. Pour l'instant, selon l'AFP, l'endocrinologue n'apparaît dans aucune procédure judiciaire. Mais Libé estime que s'il perd le procès pénal, le groupe Servier pourrait alors se retourner en justice contre le médecin.

C'est justement la question de la justice qui est au coeur de la réaction de Servier. Le groupe a démenti avoir "appelé en justice un médecin dans une procédure concernant le Mediator". Un démenti "de mauvaise foi", selon le journaliste de Libé, Yann Philippin, qui écrit un nouveau papier ce matin. Et pour cause : Libé n'a jamais parlé de procédure judiciaire entamée envers des médecins. "La phrase de Servier est exacte : il n’a poursuivi personne. Mais c’est parce qu’il n’en a pas eu l’occasion, aucun dossier d’indemnisation n’ayant encore été jugé," souligne le journaliste. "En revanche, l’avocate du laboratoire a bien tenté, dans un mémoire, d’accabler une endocrinologue lors d’une procédure, en demandant à une commission d’indemnisation de conclure à la «responsabilité» du médecin. (...) Deux avocats ont confirmé à Libération que Servier a attaqué d’autres médecins lors d’expertises judiciaires. Reste à savoir si le labo fera de même par la suite devant les tribunaux."

Reste que la "titraille" de l'article - ses titres, sous-titres et intertitres, qui ne sont souvent pas rédigés par l'auteur de l'article lui-même - pouvait, en effet, prêter à confusion. Le titre, "Servier s'attaque aux médecins", suivi de la phrase "Le laboratoire veut poursuivre les praticiens qui ont prescrit le Mediator comme coupe-faim", pouvait laisser penser à une procédure judicaire déjà entamée.


Servier joue sur les mots



Dans son communiqué, Servier ajoute que "les médecins impliqués dans les procédures concernant le Mediator l’ont été à l'initiative des patients et de leurs conseils ou d’autres parties. Ce qui est faux, selon un article de Rue89 publié hier: les patients voudraient surtout s'en prendre à Servier, et non à leur médecin. Rue89 cite Dominique Courtois, président de l'association d'aide aux victimes du Mediator: "J'ai vu passer 3 200 dossiers de victimes du Mediator et aucun n'a cherché à poursuivre son médecin. Les gens sont surtout remontés contre Servier. Il existe bien une poignée de gros prescripteurs qui ont fait du Mediator leur fond de commerce. Notamment des diététiciens et des endocrinologues. Eux sont poursuivis par la Sécurité sociale, qui cherche à récupérer les remboursements versés à tort. Il y en aurait pour 450 millions d'euros répartis entre 70 médecins. "

La plupart des médecins s'estiment surtout victimes des mensonges de Servier, souligne Rue89. Le site a lui aussi son scoop du jour, et prouve, document à l'appui, que le laboratoire présentait, dans les années 80, le Mediator aux médecins comme une réponse au surpoids, alors que sa vente n'était officiellement autorisée que dans le cas de traitement du diabète.

Le site publie ainsi une page d'"information" publicitaire parue dans une revue médicale sur la diététique. Servier y présentait un "polysurchargé" aux médecins : "Il a entre 40 et 50 ans, sa bonne santé n'est qu'apparente: derrière son aspect jovial et rubicond, son excès de poids et quelques anomalies sont alarmants, le risque vasculaire le guette. En effet, sa tension artérielle est limite, son fond d'œil montre de discrètes altérations." Dans l'argumentaire qui suit, le médecin a le choix entre imposer un régime à son patient, lui prescrire une association de trois médicaments ou… le Mediator seul.


Servier, en réalité, jouait - déjà! - sur les mots, et sur la proximité entre coupe-faim pour un régime et lutte contre le diabète. Rue89 cite la pneumologue Irène Frachon, dont le livre, Mediator, combien de morts? a révélé l'affaire (comme nous le racontions ici) : "Leurs documents ne disent jamais «coupe-faim» mais toujours «surpoids». Servier a tout fait pour diffuser l'idée que si on est gros, on est toujours un peu diabétique. Le gros avantage du Mediator sur l'Isomeride, l'autre coupe-faim de Servier, c'est qu'il était remboursé par la Sécurité sociale."

L'occasion de replonger dans notre dossier sur la façon dont les labos manipulent l'info...

Mise à jour - 29 août :

Nous avions indiqué par erreur que le noeud du débat tournait autour des procès au pénal où Servier pourrait impliquer des médecins. L'auteur de l'article de Libé, Yann Philippin, nous signale que les procès éventuels se dérouleront au civil. 

Philippin nous fait remarquer également que le "mémoire en défense" de Servier avait déjà été publié par le Quotidien du Médecin. Il ne s'agit donc pas d'un scoop de Libé. Les informations de Rue 89 n'en sont pas non plus : le document publicitaire du "polysurchargé" avait été publié par Le Parisien, le 15 mai dernier.

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